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monsieur l’ambassadeur, que je dois mériter la confiance de mon peuple. N’est-ce pas plutôt à mon peuple de mériter ma confiance ?... » Voici la seconde : — « Vous semblez croire qu’on me conseille pour le choix de mes ministres. Vous vous trompez : je les choisis, moi seul... » Après quoi, il a mis fin à l’audience par ces simples mots :

— Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur.

Au fond, l’Empereur n’a fait qu’exprimer la pure doctrine de l’autocratisme, en vertu de laquelle il est sur le trône. Toute la question est de savoir combien de temps il restera encore sur le trône, en vertu de cette doctrine.


Voici textuellement la réponse de l’Empereur à la lettre que la famille impériale lui a adressée avant-hier : il a inscrit cette réponse en marge de la lettre :

Je n’admets pas qu’on me donne des conseils. Un meurtre est toujours un meurtre. Je sais d’ailleurs que plusieurs signataires de cette lettre n’ont pas la conscience nette.



Dimanche, 14 janvier.

Aujourd’hui, qui est le premier jour de l’an d’après le calendrier orthodoxe, l’Empereur reçoit à Tsarskoïé-Sélo les souhaits du corps diplomatique.

Le froid est sévère : — 38° !

Les chevaux des voitures de la Cour, qui nous attendent devant la gare impériale, sont caparaçonnés de glace. Et, jusqu’au Grand-Palais, je ne distingue rien du paysage, tant les vitres sont rendues opaques par l’épaisseur du givre.

Lorsque nous pénétrons dans la salle de bal où la solennité doit s’accomplir, le Directeur des cérémonies, E..., patriote ardent, nationaliste fougueux, qui est venu souvent épancher en moi son dégoût de Raspoutine et sa haine du parti germanophile, me glisse à l’oreille, d’une voix vibrante :

— Eh bien ! monsieur l’ambassadeur, avais-je assez raison de vous répéter, depuis des mois, que notre grande, notre sainte Russie était conduite à l’abîme !... Ne sentez-vous pas que nous voici maintenant tout près de la catastrophe ?...

A peine avons-nous pris nos places que l’Empereur paraît, entouré de ses aides de camp généraux et de ses hauts dignitaires.