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n’oubliez pas qu’elles détiennent, à l’encontre de l’Allemagne, des gages énormes : l’empire des mers, les colonies allemandes, la Mésopotamie et Salonique... Enfin, vos alliés ont, de plus, la puissance financière, qui va être doublée, triplée par le concours des États-Unis. Nous pourrons ainsi poursuivre la guerre aussi longtemps qu’il le faudra... Donc, quelles que soient les difficultés de l’heure présente, rassemblez vos énergies et ne pensez plus qu’à la guerre. Ce n’est pas seulement l’honneur de la Russie qui est en cause ; c’est sa prospérité, sa grandeur et peut-être même sa vie nationale.

Il reprend :

— Hélas ! Je ne trouve rien à vous répondre... Et pourtant, nous ne pouvons plus continuer la guerre. Sincèrement, nous ne le pouvons plus.

Il me quitte sur ces mots, avec des larmes aux yeux. Depuis quelques jours, je constate partout le même pessimisme.



Mardi, 27 mars.

Dès le 14 mars, c’est-à-dire avant même l’abdication de l’Empereur et la formation du Gouvernement provisoire, le Soviet a promulgué, sous la forme de prikaze, un ordre du jour à l’armée, invitant les troupes à élire immédiatement des représentants au Conseil des députés et soldats. Ce prikaze ordonnait, en outre, que, dans chaque régiment, un Comité fût élu pour assurer le contrôle et l’emploi de toutes les armes, fusils, canons, mitrailleuses, automobiles blindées, etc.. ; en aucun cas, l’usage de ces armes ne pouvait plus dépendre des officiers. Pour terminer, le prikaze abolissait les marques extérieures de la hiérarchie et prescrivait que « tout malentendu entre officiers et soldats » serait désormais réglé par les comités de compagnie. Ce beau document, qui portait la signature de Sokolow, Nachamkitz et Skobélew, fut télégraphié le soir même à toutes les armées du front ; la transmission n’eût d’ailleurs pas été possible, si les émeutiers n’avaient occupé, dès la première heure, les bureaux de la télégraphie militaire.

Aussitôt que Goutchkow se fut installé au ministère de la Guerre, il s’efforça d’amener le Soviet à retirer l’extraordinaire prikaze, qui n’équivalait à rien de moins qu’à la. destruction de toute discipline dans l’armée.