Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après cela, il n’y a plus grand’chose à voir dans la riche plaine d’Agrigente. Je passe devant le temple d’Hercule, vague amas de décombres, devant le temple de Castor et de Pollux, dont il ne reste plus que trois colonnes soutenant un morceau d’architrave, silhouette gracieuse perdue dans un verger, entre des murailles de pierres sèches et des branches d’arbres fruitiers.

Le grand temple de Zeus, le plus colossal de tous, me retient plus longtemps. Bâti, nous disent les historiens, en partie par des captifs carthaginois, il fut ensuite sauvagement dévasté et brûlé par les hordes puniques. A toutes les époques de son histoirC ; la Sicile a connu la terreur africaine. Dès le Ve siècle avant notre ère, les Agrigentins adressaient au dieu adoré dans ce grand temple la prière que voici : « S’il est possible, ô Zeus, fils de Chronos, écarte bien loin de la Sicile les armes des Carthaginois et les terribles luttes où se jouent pour elle sa vie et sa mort ! » — Quand les émirs de Kairouan ou de Tunis débarquèrent en ces lieux avec leurs troupes barbares, le dieu, si souvent outragé par les bandes africaines, dut reconnaître l’ennemi héréditaire...

Ici, comme à Palerme, dans des édifices beaucoup plus modernes, la contamination de l’Afrique est évidente. Je m’en rends compte, en contemplant ces atlantes gigantesques qui soutenaient la toiture du temple. Les Carthaginois avaient imposé à ces Grecs de Sicile le goût africain, la démesure orientale, comme les Sarrasins leur imposèrent plus tard leurs coupoles aplaties et leurs arabesques. Déformé par l’enflure punique, le Jupiter à qui fut élevé ce temple, devait ressembler à un Baal et être tout près de se confondre avec le taureau d’airain, où Phalaris, tyran d’Agrigente, faisait brûler ses victimes.


Il faut payer les enchantements du val d’Acragas par une longue et torturante journée de chemin de fer. Douze heures environ sont nécessaires pour aller de Girgenti à Syracuse.

Sauf la vision presque africaine de Caltanissetta, avec ses maisons brûlées de soleil, qui montent en amphithéâtre, au bord de ruelles en pente, ravinées comme le lit d’un torrent, rien ne rompt la monotonie du paysage montagneux. Dans la somnolence d’un interminable après-midi, un souvenir charmant