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peut-être des cordiaux pour les Céladons à bout de souffle. Comme ceux de la galerie, les murs dorés sont parsemés de fleurs aux couleurs vives, mais aussi, selon le goût du XVIIIe siècle, on y a point des Chinois et des Tures en turbans et en chapeaux à sonnettes. Les sculptures des boiseries, qui serpentent sur les panneaux dorés et peints, se contournent en forme de consoles minuscules, où l’on a niché une foule d’objets absurdes et curieux, des bronzes, des biscuits, des porcelaines, qui représentent des escargots, des tortues, des coqs, des grenouilles, ou bien des bonbonnières, des petites boîtes compliquées, dont on ne sait plus l’usage.

La princesse de Gangi, qui veut bien me faire les honneurs de cette salle de bal fantastique et qui, dans un cadre à la d’Annunzio, m’est apparue tout à l’heure, comme la fervente animatrice de ces splendeurs défuntes, — la Princesse se brise les ongles à vouloir ouvrir une de ces petites boites à surprise. Elle me dit, en embrassant du geste l’ampleur des salles :

— Nous ne savons plus !… Nous sommes perdus au milieu de tout cela. On dirait que nous appartenons à une autre race d’hommes !

Et voilà que, moi aussi, devant cet art maniéré et fragile, devant tous les raffinements assemblés d’une époque délicieuse, j’éprouve la même impression d’égarement que la veille, à Sélinonte, devant les blocs cyclopéens des forteresses et des temples écroulés. Ces hommes du XVIIIe siècle, pourtant si proches de nous, ces grands seigneurs et ces bourgeois dilettantes qui ont bâti et décoré des palais avec une entente si subtile du plaisir et de la beauté, m’apparaissent comme des artistes, de merveilleux artistes, auprès de leurs descendants dégénérés du vulgaire et plat XIXe siècle.



Agrigente, 7 avril.

« Une ville sainte, au bord d’un fleuve ! »

Ce vers lyrique me revenait en mémoire, tandis que, par une route poudreuse, aux lacets interminables, je montais vers la moderne Girgenti. La ville sainte, c’est Agrigente. Le fleuve, c’est « l’Acragas où meuglent les génisses. » Ainsi le ? chante Pindare le Thébain, le grand consécrateur de toutes les terres d’Hellade, « l’échanson des Muses, » comme il s’appelle lui-même,