leurs visages brûlés, prennent une vague tournure de bandits.. ?
Mais la respiration de la mer libyque commence à se faire sentir. Là-bas, la ligne bleue des vagues tranche sur le bleu plus pâle du ciel. Nous tournons à droite, après avoir longé un énorme amoncellement de décombres, que, de loin, je prenais pour des usines avec leurs cheminées : ce sont les trois grands temples de Sélinonte. Le premier aspect, avouons-le, n’a rien d’esthétique... Devant nous, en contre-bas des temples, se creuse une large cuvette de sable rouge, l’ancien port, aujourd’hui comblé, où l’on ne voit plus qu’un petit lac formé par un torrent ensablé, et les grosses boules vertes des cistes qui, à distance, semblent des troupeaux en pâture, des mouflons avides qui auraient tondu l’herbe jusqu’à la racine et tout dévasté autour d’eux... De l’autre côté de la cuvette, en forme de promontoire, se dresse l’Acropole de Sélinonte, avec ses remparts, ses tours et ses sanctuaires écroulés. Tout cela git à ras du sol. On ne distingue dans cet amas de blondeurs diffuses que les toits rouges de la maison du gardien et de l’Office des fouilles, où je vais passer la nuit. Là encore, le premier aspect n’a rien d’exaltant.
Qu’importe ! Je sais que je suis en route vers de l’inconnu. C’est l’émotion enivrante du voyage.... A l’extrême pointe de l’Acropole, je descends devant la maison des fouilles, et, tout de suite, sur la terrasse qui précède l’entrée, je suis ébloui par la splendeur du paysage. On ne m’avait pas trompé. Le spectacle est un des plus grands de la Méditerranée et du monde. En face, la mer libyque, déployée, à perte de vue, le long d’une plage de sable d’or. Une immensité vertigineuse. Vastes espaces miroitants des plaines liquides. Hauts sommets mythologiques hantés par le souvenir des dieux de l’Hellade, lointains nacrés et sonores qu’emplit le grondement du Ilot marin et où l’on ne sait plus si ce sont des vapeurs légères qui tremblent, ou les voiles flottants de Téthys. Derrière moi, la ville morte qui dort, avec ses temples dévastés, les stigmates de ses assauts et de ses carnages et les fantômes de ses millions de morts qui semblent ressusciter et crier confusément dans les souffles du large... Le sentiment de tout cela, je le devine, va m’émouvoir plus que la vue même des ruines. Je m’enthousiasme à l’idée de passer toute une nuit de solitude et de recueillement dans cette haute demeure, au bord de la mer. Lorsque je franchis le seuil