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des ruines et il m’offre l’hospitalité dans le logis réservé à la direction des fouilles. Qu’il soit remercié pour cet acte de courtoisie ! Rarement une hospitalité aussi splendide m’aura été donnée !


Je reviens sur mes pas. Je revois Castellamare, son golfe et ses sables. Je salue au passage le temple lointain de Ségeste. Une fois franchie la zone du littoral, un nouveau paysage commence, — celui de l’intérieur des terres. Il est tout africain. Il me rappelle les grandes régions montagneuses de la province de Constantine, que je viens de parcourir, le mois dernier, — régions monotones, où les villages sont rares, où des pitons dénudés et grisâtres dominent de vastes espaces cultivés, des champs de blé, des prairies, des pacages habités par des troupeaux de chèvres et de buffles. Rien n’arrête le regard que la magnificence des sainfoins étalés en lacs de pourpre dans le vert des herbages.

En moins de deux heures, j’ai traversé la corne occidentale de la Trinacrie. Je descends du train à Castelvetrano, pour gagner en voiture la plage déserte où git Sélinonte.

Nous suivons une large vallée qui s’abaisse vers la mer. A mesure que nous nous rapprochons du littoral, l’aspect africain s’atténue, le paysage italique reparait. Nous sommes dans une grande plaine toute en vignes, en oliviers, en cultures maraîchères. Les cyprès et les pins en parasol ombragent les petits murs en pierres sèches des domaines seigneuriaux. La Sicile, comme le Sud de l’Italie, est encore le pays des latifundia. Nous passons devant le portail d’une de ces grandes villas héréditaires, et je lis au frontispice : Villa del principe Diego Pignatelli... Ainsi, cette antique famille des Pignatelli existe toujours ! Et je songe à cette redoutable duchesse de Terranova, qui épousa un de ces Pignatelli, Hector, duc de Monteleone, prince de Noja, et qui fut camerera-mayor de la pauvre Marie-Louise d’Orléans, reine d’Espagne : c’était, nous disent les contemporains, « une dame italienne, qui s’entend mieux en carabine sel en poignards qu’en aiguilles et en dés à coudre... » Cette figure de César Borgia en jupons complète pour moi le caractère de ce pays sauvage, violent, romanesque et voluptueux. Les paysans que nous croisons, plantés sur leurs mulets, la couverture à franges sur l’épaule, le feutre rabattu sur leurs prunelles de braise et