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anges en relief semblent piquer une tête, du haut du ciel, les jambes en l’air, les ailes planantes, les bras tendus pour offrir une vasque d’eau bénite, qui fait songer à une boite de fruits confits. Partout, à profusion, des marbres de toute beauté, travailles comme des broderies blanches, des guipures appliquées sur le transparent rose, vert, jaune ou bleu des agates, des onyx, des zinzolins et des porphyres. Tout le long des voûtes, les stucs rivalisent avec les marbres, encadrant de rocailles, de gerbes de fleurs, de têtes et de culs d’anges, des fresques aériennes, des « gloires » de saints, d’une couleur enflammée et tendre…

Cette fantaisie se mêle à un réalisme joyeux, quelquefois un peu lourd et vulgaire. À Santa Caterina, il y a un bas-relief qui décore la base d’un pilastre et qui figure un vaisseau en pleine tempête. (Toujours ce goût pour la furie du mouvement !) La carène, qui se soulève et s’arrache des vagues bouillonnantes, est en marbre, comme les vagues elles-mêmes. Mais la mâture est en bois, avec des échelles de corde véritable, une petite lanterne et une ancre en fer.

Cet art-là est puéril, absurde, tout ce que l’on voudra. Mais l’ensemble est vigoureux, riche, épanoui, avec un air de grandeur et une couleur qui emportent tout.



Sélinonte, 5 avril.

Cette flânerie parmi les églises et les palais baroques de Palerme n’est qu’un intermède, une débauche clandestine, avant de me replonger dans l’austérité dorienne.

J’ai eu l’honneur de rencontrer, au musée national, le directeur des antiquités, l’aimable et savant M. Gabriel, qui m’a dit, d’un air pénétré :

Il faut voir Sélinonte !

Rien qu’à l’accent de sa voix, au ton presque religieux, j’ai compris que c’est une chose qui se doit, une visite qui, sous aucun prétexte, ne se peut éviter, ni même différer. Mon éminent interlocuteur me confirme que Sélinonte est un lieu archéologique insigne et un des plus grands paysages de la Méditerranée. Comme le voyage est encore plus long que pour Ségeste, qu’il est impossible de faire, en un jour, le trajet aller et retour, il veut bien m’autoriser à passer la nuit au milieu