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esprit meilleur, qu’ils font mine de parer d’une végétation luxuriante. Débarrassez-vous-en. Reprenez votre vérité humaine. Et songez à la femme qui va épouser M. Dangennes.

Cette femme vous est connue. Pourquoi donc vous êtes-vous abstenu de la mentionner dans votre diatribe ? C’est que vous ne pouviez la soupçonner d’aucune intrigue. Il vous eût été plus difficile encore de la prendre en pitié. Malgré vous, vous est apparue la pure gravité de son attitude. Et votre silence obligé à son sujet réfute assez bien tous vos griefs au sujet de votre maître.

Cette femme, qui sera Yseut aux blanches mains, tiendra avec piété la place d’Yseut la blonde. Mais, contrairement à celle du poème, elle le sait, elle l’accepte, elle ne se croit pas humiliée de remplir ce rôle écrasant, délicat et noble. Elle empêchera la vie de commettre son crime jusqu’au bout sur Renaud Dangennes. Elle achèvera l’œuvre nécessaire de convalescence commencée par Anne-Marie. Qui sait si elle n’y aura pas plus d’adresse bienfaisante que n’a pu en avoir la pauvre Anne-Marie elle-même ? Et je ne crois pas blasphémer en écrivant cela. Cependant elle ne cherchera pas à obscurcir l’image de l’Autre. Elle l’entretiendra. Elle prendra soin que le chèvrefeuille ne périsse autour du coudrier et ne l’entraîne dans la mort Et c’est elle-même qui ira fleurir le tombeau d’Anne-Marie. Cela vaut mieux qu’un sang romantiquement répandu.

Vous pouvez et vous devez tirer votre chapeau devant cette femme-là Larmechin. Vous qui aimez l’héroïsme, en voilà et d’autant plus émouvant qu’il est plus raisonnable et plus effacé. Quel rare privilège que le cœur d’une femme raisonnable, dans ces circonstances !

Quant à l’Aimée, si la pensée des morts visite celle des vivants, elle ne peut que dire à Renaud Dangennes :

« Tu as raison. Je t’ai pris toute ta jeunesse, toute ta force, toute ta vraie vie, sans rien te donner de la mienne. Je ne veux pas que ma mort replace sur tes épaules les chaînes dont mon trop faible courage les chargea, et dont je n’ai pu alléger le poids qu’un moment et à un âge sans grâce. Non, tu ne me trahis pas, comme on s’imagine. Non, ce n’est pas une étrangère que tu vas installer à ma place vide, puisque tu aurais pu tout aussi bien l’y installer au temps où elle était déjà vide et où tu n’avais aucune raison d’espérer me voir un jour Mais