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scolaires du XIXe siècle. Il a fallu prouver à tout prix que l’Espagne, étant une nation latine et catholique, n’a pu avoir ni art, ni littérature, ni science, ni philosophie. Or sa peinture et son architecture, — surtout celles du XVIIe siècle, — sont de tout premier ordre, d’une originalité vigoureusement tranchée, qui supporte le plus aisément du monde la comparaison avec l’Italie et la France. Les Espagnols eux-mêmes n’admirent pas assez leurs cathédrales et leurs palais de l’époque classique. Pourtant il n’y a rien de pareil dans aucun pays du monde ! Je songe, en ce moment, à la cathédrale de Murcie, à l’Aguntamiento de Séville, à la façade de l’université d’Alcala...

Mais l’espagnol n’est que de surface à Palerme : il existe là un art local, une architecture « baroque, » dont l’exubérance et l’extravagance m’émerveillent. Je sais bien que le baroque a sévi partout avec une intempérance pareille. Nulle part, je crois, il ne s’étale comme ici, où il a quelque chose d’insolent et on dirait presque d’agressif, si bien qu’on finit par le considérer comme une plante du terroir. Dans le vieux Palerme, il y a des rues entières, — telles la via Lungarini, — entièrement bordées de vieux palais du baroque le plus fou. Cela est à la fois pesant et agité. Ce ne sont que mascarons, coquilles et coquillages, cariatides et figures grotesques, balcons ventrus, consoles, pilastres et portails surchargés de sculptures. Aujourd’hui, ces palais sont en ruines ou fort délabrés. Des arbrisseaux poussent dans les interstices des pierres. Des herbes folles pendent des balcons et des gargouilles, fleurissent les corniches et les balustres. A de certains moments, cela prend un air à la Piranèse, une apparence de ruines farouches, énormes et fantastiques. Je confesse l’inconvenance de mon goût : cette débauche architecturale m’amuse et, quelquefois, m’enchante. Cette incontinence ornementale, cette enflure et cette furie des lignes font ma joie.

D’ailleurs, à côté de morceaux de bravoure exécutés par des ténors de décadence, ou même par de vulgaires charlatans du métier, il y a des parties solides, d’une tenue parfaite d’une noblesse ou d’une grâce charmante. Certaines cours intérieures, avec leurs escaliers à double évolution, les colonnes et les arcatures de leurs loggias sont de pures merveilles. On me rappelle que M. Paul Bourget, lors d’un séjour déjà lointain, avait surnommé Palerme « la ville des colonnes ». C’est vrai : il faut