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Refuserez-vous plus longtemps de comprendre la leçon de ces choses, Larmechin ? et vous obstinant dans l’épaisse éloquence de vos formules, professez-vous encore qu’il est honteux de vouloir la continuation et l’achèvement d’une telle convalescence pour Renaud Dangennes ? Votre idéal exige que la convalescence demeure interrompue, c’est-à-dire qu’on rejette à son ancien mal le malade, moins propre à le supporter désormais.

Mais vous ne savez pas tout. A côté de cet amour souvenir, il y avait quand même eu un présent nouveau. Je sais qu’il va vous paraître mesquin. Vous jetterez les hauts cris. Souhaitez, Larmechin, de n’avoir jamais à provoquer semblablement les hauts cris d’un autre contre vous.

Il y avait quand même eu un présent nouveau : le foyer, l’humble vie ménagère où l’homme abdique toute initiative.

On a vécu seul, en étudiant, et l’on a été soi-même l’ordonnateur de ses soins journaliers. Rappelez-vous, Larmechin, votre Quartier Latin. Voici l’armoire à linge rangée par vous. Voici le placard d’une modeste, mais indispensable vaisselle, et les menues provisions de bouche qui la doivent remplir, le cas échéant. Voici même la petite pharmacie. Et le jour de la blanchisseuse ! et la boutique du stoppeur ! et celles des fournisseurs divers ! toute l’économie de votre studio, toute l’expérience que vous y apportiez ! Rappelez-vous, et combien vite cette expérience-là cette direction-là vous ont été ôtées. Par qui ? Par l’amour, par votre femme, par votre renoncement heureux.

L’homme marié, c’est l’homme qui a retrouvé sa maman. Vous n’êtes plus capable de vous habiller tout seul, Larmechin, ni de vous servir tout seul à table. Vos vêtements, votre linge, votre vaisselle, sont dispersés selon un ordre auquel vous n’avez plus de part, pas plus que vous ne connaissez désormais l’adresse de votre stoppeur ni de votre blanchisseuse. Et même, parfois, vous maugréez un peu, parce qu’il faut bien que l’on maugrée toujours un peu. Au fond, vous êtes lâchement ravi. Vous acceptez d’autant mieux cette dépendance que vous aimez davantage votre femme, tandis qu’à cet égard, lequel est énorme, votre femme n’a nul besoin de votre secours. Surtout ne me faites pas dire que la femme est une abominable calculatrice. Ce calcul fait partie de son amour, de son instinct. Il est