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à reconstruire et à consolider l’Europe centrale, à satisfaire des droits méconnus, à réconcilier, par d’habiles tractations, des peuples qui ont été entraînés les uns contre les autres par des Gouvernements aujourd’hui disparus, joueront un très utile et très noble rôle dans l’Europe renouvelée.

Je demande seulement pourquoi l’on a donné à l’union de ces peuples le nom de « Petite Entente, » car, pour nous, la grandeur des peuples ne se mesure ni à l’étendue du territoire, ni au nombre des habitants. Ils sont grands à nos yeux, parce qu’ils ont combattu pour une cause sacrée.

Une des premières œuvres à accomplir serait l’approfondissement du Danube en certains points. Réuni au Rhin, il deviendrait un excellent débouché pour l’Alsace. Le Gouvernement tchèque, dans son récent accord avec le Gouvernement allemand, a prévu la construction d’un canal de l’Elbe au Danube avant dix ans ; si nous nous laissons devancer, Hambourg redeviendra le grand port de l’Europe centrale.

Et quel peuple aurait plus d’intérêt au succès d’une telle politique que l’Italie ? Depuis l’accord germano-tchèque, une grande partie des produits de Trieste passe par l’Elbe et Hambourg. Le jour où les Allemands seraient parvenus à rétablir leur prépondérance dans l’Europe centrale, quel serait le sort de Trieste ? En juillet 1920, M. Giolitti, alors président du Conseil, me faisait dire ce qu’il m’autorise à répéter ici : « L’Italie n’a pas intérêt à voir tout près d’elle, pesant lourdement sur les Alpes et sur l’Adriatique, une Allemagne démesurément accrue par l’adjonction de l’Autriche. »

En cette période de crise qui frappe tous les pays, victorieux ou vaincus, le statut des rapports économiques entre l’Italie et la France devrait être définitivement fixé. Ce ne sont pas seulement les liens du sang, les affinités intellectuelles, les grands souvenirs de l’histoire qui doivent unir les deux nations, ce sont aussi les réalités économiques.

Vous aurez certainement à cœur, M. le président du Conseil, de collaborer avec l’Italie, dont la France est et doit rester solidaire, à cette politique d’équilibre qui, seule, peut garantir la stabilité de l’Europe centrale, l’indépendance politique et économique des nations qui entendent ne pas devenir, directement ou indirectement, les satellites et les vassales de l’hégémonie allemande.