Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/737

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui dirige actuellement ses destinées, nous ne saurions oublier, sans ingratitude, les grands services qu’il a rendus pendant la guerre à la cause du droit. Cette unité de commandement si longtemps réclamée par le président de la République et par nos généraux, c’est lui qui l’a réalisée et qui, par l’organe de lord Milner, a fait étendre le commandement du général Foch non seulement aux troupes qui couvraient Amiens, mais à l’ensemble des armées du front occidental.

Mais, messieurs, il y a une chose que les Anglais mettent au-dessus de l’admiration ou de la reconnaissance qu’ils peuvent inspirer, c’est le ferme langage qu’eux-mêmes ne craignent pas d’employer dans toute circonstance.

Nul n’est infaillible, ni nous, ni eux, ni personne. Or, quel Anglais éclairé, ayant quelque avenir dans l’esprit, pourrait prétendre que lorsqu’en 1815 lord Castlereagh mit la Prusse sur la rive gauche du Rhin, il n’ait préparé non seulement pour la France, mais pour le repos de l’Europe et de l’Angleterre elle-même de graves complications ? Seulement, lord Castlereagh avait un motif : l’Europe bouleversée pendant de longues années par Napoléon ; la diplomatie britannique voulait contenir une France belliqueuse et conquérante, sur sa frontière même, par une nation guerrière ; c’est ainsi que toujours les abus de la force provoquent les représailles de la violence.

Et quel Anglais éclairé ayant devant les yeux, non une minute donnée, mais les longues perspectives de l’histoire, soutiendrait aujourd’hui qu’en 1871 Gladstone, en nous laissant arracher la Lorraine, n’ait contribué à jeter l’Europe dans l’état de trouble et d’incertitude où elle s’est débattue pendant près d’un demi-siècle ? Seulement Gladstone, lui aussi, avait une raison : les négociations secrètes de Napoléon III avec Bismarck au sujet de la Belgique et du Luxembourg.

Mais, cette fois-ci, est-ce nous qui avons menacé la Belgique ? Est-ce nous qui, après l’avoir trompée, l’avons couverte de sang et de ruines ?

Si le Gouvernement anglais, qui ne s’attendait pas à cette agression, — j’ai pu m’en convaincre pendant une visite que j’ai faite à Londres en 1912, — avait parlé un peu plus vite, Guillaume II eût-il osé envahir les Flandres ? Et ce mot prononcé à temps n’eût-il pas épargné au monde et à l’Angleterre d’incalculables désastres ?