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demi bouffonne et sérieuse, j’allais écrire grandiose à demi. Un thème d’orchestre opiniâtre et sombre, les douze coups de minuit sonnés sur des harmonies changeantes, mais toujours profondes, tout cela reste plaisant, mais n’est pas loin de devenir grave et d’une mystérieuse gravité. Un peu plus, et ce bois nous paraîtrait presque sacré, nous prendrions Falstaff pour quelque Silène en bonne fortune, et la musique, sans pourtant cesser tout à fait de rire, évoquerait en notre mémoire l’antique souvenir des dieux.

Mais l’esprit anime plus d’une fois cet amas de matière qu’est Falstaff et soudain s’en dégage. « Assotigliamo, » dit-il lui-même, de lui-même, au premier acte, alors qu’il forme ses amoureux desseins. La musique aussitôt, docile à la parole, s’amincit et s’amenuise. Le fameux scherzetto : « Quand j’étais page du sire de Norfolk » est un autre exemple de cette ténuité sonore. Surtout que le chanteur se garde alors, d’insister et d’exagérer. Il n’y a là qu’un souffle qui passe. A vrai dire il vient de loin. Non seulement par les paroles, mais par le mouvement, la coupe et les valeurs musicales, la gentille chanson ressemble à certain rondeau : « When that 1 was a little tiny boy, » que chante Feste, le clown, à la fin du Soir des Rois. Ce peu, ce rien musical ajoute pourtant quelque chose au personnage de Falstaff. Le voilà bien, avec sa verve, mais plus retenue ; avec sa fatuité, mais plus discrète ; avec le regret même, (témoin deux ou trois notes d’une flûte grave et furtive), avec le regret de sa svelte jeunesse, avec l’élégance enfin, la race et le sang du gentilhomme shakspearien, que le désordre et la débauche n’ont pas complètement avili.

Quant aux quatre commères, héroïnes de cette comédie familiale et bourgeoise, (trois soprani, un contralto), elles forment un des groupes féminins les plus délicieux qui soient dans la musique de théâtre. Par malheur, à l’Opéra, le timbre de contralto, indispensable à l’équilibre vocal, était oblitéré. Vives, enjouées toutes les quatre, chacune l’est à sa manière et selon son humeur : Quickly plus savoureuse ; Nannette, (c’est la petite amoureuse), plus ingénue et plus sentimentale ; les deux autres avec plus de verdeur. Mrs Ford surtout me paraît une figure achevée ; pas un de ses chants, pas une de ses phrases ou de ses répliques, qui ne soit un trait de malice, de feinte coquetterie, en même temps que de tranquille et sûre honnêteté. Elle fait quelquefois songer, Mrs Ford, à la spirituelle autant que sage Elmire. Elle aussi pourrait, aimerait peut-être cacher son mari sous la table près de laquelle elle attend Falstaff. En certain quatuor qu’elle