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suivis d’abord, se réunissent. Mais pour les mettre en valeur, ou seulement en place, il faudrait, mesdames et messieurs, il faudrait chanter, ce qui s’appelle chanter. Et l’appellation comporte, comprend bien des choses : la voix, la mesure, le rythme, le solfège, une diction rapide et légère, que sais-je encore ! Et vous-mêmes, de tout cela que savez-vous !

Quant à la mélodie, elle jaillit de source, et d’une source intarissable.— Ici, trois ou quatre notes souvent suffisent à la créer, à lui donner une forme, une formule précise autant que brève et toujours musicale en sa brièveté. Ailleurs au contraire, la cantilène, de race italienne, de la meilleure et de la plus pure, prend son temps ; elle se développe en une ample période et magnifiquement, à la fin, s’épanouit. Et puis, qu’elle soit vive ou lente, qu’elle se resserre ou se déploie, cette musique a ceci d’admirable toujours, qu’elle parle aussi bien qu’elle chante. Pas un chant qui n’ait la précision, la justesse expressive des mots ; pas un mot qui ne possède le charme, la beauté sonore du chant.

Passerons-nous de l’action et du mouvement aux caractères ? La musique de Falstaff excelle également à les peindre. Le portrait du héros est admirable de vérité et de vie. Le dehors même, le physique en est rendu par les sons. Ecoutez-le, dès les premières scènes, le « Pancione » (le ventru), s’admirer, se glorifier lui-même : « En ce bedon, s’écrie-t-il, tonne un millier de voix qui proclament mon nom ! » À ces « voix intérieures », les autres répondent et les renforcent. De mesure en mesure, par les rythmes et par les timbres, l’orchestre se dilate et véritablement s’engraisse. Accords, sonorités grossissent ensemble. « Falstaff immense ! » hurlent les deux valets, et ce n’est plus seulement leur maître, c’est toute la gent porte-bedaine, les Pantagruel et les Gargantua, c’est la puissance de la matière, l’apothéose de la chair et de la goinfrerie, que célèbre, à la manière d’un tableau de Jordaëns, la tonitruante acclamation.

L’ampleur en quelque sorte morale du personnage n’est pas inégale à sa corpulence. Ses propos d’amour même, ses déclarations à la belle Alice respirent une copieuse et gloutonne concupiscence. Son âme, si l’on ose dire, comme son corps, déborde. Et son exubérance est sensible, que dis-je, éclate non seulement dans ses chants, mais jusque dans les moindres de ses intonations, de ses accents, (voir la scène avec Mrs Quickly, et plus encore la suivante, avec Ford). L’entrée du gros homme, au dernier acte, la nuit, dans la forêt et sous l’accoutrement du « Chasseur Noir, » est d’une puissance à