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Partition et libretto, ou plutôt poème, de ce vrai poète qu’était Arrigo Boito, nous les reçûmes en effet, signés chacun d’une main amie, et la lecture seule en fut un enchantement. Elle en est un encore, et que rien, fût-ce l’audition à l’Opéra, ne peut rompre. Vous qui savez lire, essayez.

Nous n’avions encore fait que lire l’ouvrage, quand Boito noua écrivait à son tour :

« Ah ! ce Falstaff ! Combien vous avez raison d’aimer ce chef-d’œuvre ! El quel bienfait pour l’art, quand tous arriveront à le comprendre !... Ce que vous ne pouvez imaginer, c’est l’immense joie intellectuelle que cette comédie lyrique latine produit sur la scène. C’est un vrai débordement de grâce, de force et de gaîté. L’éclatante farce de Shakspeare est reconduite par le miracle des sons à sa claire source toscane de Ser Giovanni, Fiorentino. Venez, venez, cher ami, venez entendre ce chef-d’œuvre. Venez vivre deux heures dans les jardins du Décaméron et respirer des fleurs qui sont des notes et des brises qui sont des timbres. »

Le poète avait raison. Falstaff est bien la vraie « comédie lyrique latine, » un chef-d’œuvre en ce genre, égal, peut-être même supérieur au Barbier de Séville par l’abondance, la richesse et l’ampleur ; çà et là par une veine, un flot de poésie qui manque à la musique presque uniquement spirituelle, avec une certaine sécheresse, de Rossini. Musique de l’action, musique des caractères, musique baignée par moments de mystère et de rêve, la musique de Falstaff, de tout Falstaff, est cela. Elle l’est en les divers éléments qui la composent, sous chacune des formes ou des figures qu’elle prend.

« Au commencement était l’action. » L’action par où l’opéra commence, est vive autant que soudaine. In medias res, tout de suite. La scène première, (la querelle du docteur Caïus avec les deux valets de Falstaff, en présence de leur impassible patron), cette scène est menée à toute allure ; allure classique d’ailleurs, un peu celle d’un quatuor ou d’une symphonie. Symphonie : le mot et la chose nous reviennent ailleurs encore à l’esprit. En ce même premier acte, c’est une esquisse de symphonie que mainte ritournelle : sortie d’un gamin dépêché par Falstaff en ambassade amoureuse ; expulsion par Falstaff aussi, furibond, de ses deux acolytes rebelles. Au troisième acte, le copieux, le grandiose finale « du panier » s’expose, puis s’accroît à la manière et dans les proportions d’un allegro beethovenien. Quelles symphonies encore, surtout vocales celles-là forment, au second tableau, le quatuor féminin, puis le quintette viril qui, s’étant