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n’avaient pas plus de grandeur que ces champs mûrs. Aucune vallée n’est plus ombreuse que cette vallée de prairies dormantes... » Cette rêverie où l’Antiquité se réunit aux siècles ultérieurs et à notre siècle pour composer l’idée de la campagne, et l’embellir en lui laissant sa vérité, a un merveilleux charme de repos. La même idée de la campagne, que nous présentent M. de Pesquidoux et M. de Bordeu, écrivains par ailleurs très différents, est la plus séduisante, par son étrangeté, par ses grâces tranquilles, pour les citadins qui sont las d’une mobilité incessante, analogue à une espèce d’absurdité, las de voir toutes choses promptement démodées et l’oubli maître de leurs jours, de leurs minutes. Nous partirions pour la campagne, tous, et il faudrait désormais redouter l’abandon des villes au profit des champs, si M. de Pesquidoux, après avoir ému notre velléité, n’avait soin de retenir un peu notre élan. Car il nous avertit de ne pas nous improviser campagnards.

M. de Pesquidoux écrit, en effet : « Il n’est point de métier qui demande plus d’acquisitions expérimentales... » Eh ! nous travaillerons... « un plus constant apprentissage...» Eh ! nous prendrons la leçon des vieux et, peut-être chenus, serons dociles au bonhomme qui enseigne si joliment à un bambin le labourage... « en un mot plus d’atavisme. » Hélas ! le bonheur des laboureurs nous est donc refusé !...

Plus d’atavisme ? Oui. Vous iriez au marché vendre des bœufs ou en acheter : vous ne sauriez pas comment on parle aux chalands, comment en déjoue leurs roueries ; vous seriez refaits. Aux prés, aux champs, vous n’auriez pas le coup d’œil ; vous n’auriez pas « l’intuition de la terre ; » vous n’auriez pas les qualités qu’a de naissance l’homme qui hérite un long souvenir de la terre. Une science et qui est devenue un instinct : « ça vous est défendu ! » disent les paysans. Conséquemment, M. de Pesquidoux ne s’adresse pas tant à vous, gens de la ville et que la ville a depuis des générations pris et accaparés, mais à une jeunesse que la ville a récemment débauchée. Il lui raconte par exemple, l’histoire d’un paysan, surnommé l’Arroumic ou la fourmil, vrai paysan, qui se tire d’affaire et, au bout du compte, arrive à posséder son bien : « Je dédie ces lignes à tous les déracinés qui battent les grandes villes. » Ces déracinés que la terre a perdus, — et elle en perd ! — lui seraient infiniment précieux, parce qu’il est Impossible de les remplacer ; ils sont de l’hérédité indispensable et qui va se gaspiller, s’anéantir avec eux. Veuillent-ils s’en apercevoir ! Pour qu’ils reviennent à la terre, M. de Pesquidoux les supplie de songer qu’elle est aimable.