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contre la peinture que tant d’écrivains, dits réalistes ou naturalistes, ont faite de nos paysans : « sortes de bêtes supérieures, en qui l’animalité finit toujours par dominer, » des brutes. M. de Pesquidoux connaît le paysan, le sait « insouciant, méfiant et entêté, âpre, plié sous la fatalité de la vie, » très souvent. Mais il l’a vu et le voit tous les jours « tenace, courageux, ingénieux, dur à la peine, dur au mal, digne et noble, attaché à son foyer, l’âme toute mêlée à sa terre, non point enlizée, liée par une fidélité, par un amour incoercible où il entre une telle part de générosité, de spiritualité, qu’il est allé mourir avec joie, avec passion pour elle... » M. de Pesquidoux le dit ; et il suffit d’avoir lu ses deux volumes, on sait qu’il ne dit que la vérité.

Aux peintures injurieuses des réalistes, il oppose des peintures vraies et qui ont quelquefois un charme délicieusement persuasif. En manière d’exemple, voici une leçon de labour que donne un vieux bonhomme à son petit-fils, gamin de quatorze ans, là-bas, en Gascogne. « Quand j’arrivai sur le champ, le vieux plantait, au bout de la pièce, un long rejet de peuplier encore en feuilles, pour servir de point de direction à l’enfant. Le petit, absorbé, attendait, debout entre les mancherons... » Le bonhomme avait choisi ses bœufs les plus patients et accoutumés à la besogne, de bons « cheminots de la glèbe. » L’enfant savait déjà les atteler et faisait bien les gestes appris, saisissait le bœuf de droite le premier, le plaçait sous le joug, appelait le bœuf de gauche, qui venait tout seul. Enfin, le grand-père avançait la charrue. L’enfant n’évitait pas de s’embrouiller ; il ne connaissait pas toutes les parties de l’instrument, les mancherons, l’âge, le talon, le versoir, le soc, le couteau, la tringle de tirage et sa vis qui fait monter ou descendre le gouvernail. Quant à l’aiguillon, ne point en user à l’étourdie ; ne jamais piquer sur les jarrets, ni sur l’os, ni au sang : l’on risque de blesser l’animal ; ne point toucher sans avoir averti : l’on risque d’effrayer l’animal. Et l’on a vu des bœufs effarés qui se sauvaient « en mugissant comme le tonnerre. » Ces mois ont rendu l’enfant très attentif... Le bonhomme rejoignit l’enfant. « Il plomba, il équilibra l’outil, indiquant qu’il faut descendre le gouvernail pour lever la charrue et le baisser pour la monter. Et soudain, d’un coup de main sur les courdils, il fit entrer bêtes et soc dans le champ : au pas, d’un bloc, comme mus à la fois. Et il enseigna encore que le talon devait toujours porter à plat sur le sillon ouvert, et le fer travailler de niveau. Alors, guidé, redressé ou appuyé du doigt, l’outil se fit léger, souple, maniable, oscilla et vibra comme un