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n’est pas non plus une paix qu’il puisse retirer. Ici don Miguel a bâti sa forteresse de sérénité, inexpugnable.

Mais il ne considère pas qu’il ait le droit de s’y retrancher. Il y a tant d’hommes qui souffrent, sans que leur souffrance ait le mérite et la beauté qu’elle a chez ceux qui souffrent volontairement pour la justice ! Il faut supprimer cette souffrance innombrable, obscure et vile.

Don Miguel sort de sa forteresse. Nous ne pouvons en être surpris. Ce serait mal comprendre l’homme et son œuvre, ce serait commettre une injustice, non pas seulement littéraire, mais personnelle, que de mépriser les conférences et les articles du publiciste et du journaliste ; car il met là beaucoup de son cœur d’homme, d’homme en chair et en os, de combattant qui donne son sang. Au matin, il sort de sa forteresse et il se lance, tel que l’a dépeint son ami le grand poète Antonio Machado, il y a déjà longtemps, en 1905 : nous l’avons dit, don Miguel ne change pas comme le voudraient faire croire ses ennemis ; et c’est peut-être sa fidélité à son idéal qui lui a mérité de conserver au seuil de la vieillesse la vigueur des jeunes années où il dépensait généreusement la surabondance de ses forces. Il part donc, sous le harnois et le casque qui prêtent à rire...


Este donquijotesco
Don Miguel de Unamuno, fuerte vasco,
Lleva el arnes grotesco
Y et irrisorio casco
Del buen manchego...


Mais le don-quichottesque chevalier qui, monté sur sa chimère, assène des coups formidables aux rustres, aux bandits, aux gens qui vivent du jeu ou de l’usure, s’obstinant dans l’entreprise ridicule de vouloir leur enseigner la Chevalerie, peut-être, un jour, par la puissance de sa foi, réveillera les âmes déchues et reconstituera son peuple dans l’idéal.

C’est qu’il y a dans le peuple espagnol des ressources infinies et une émouvante puissance de résurrection. Peut-être don Miguel, ce grand tourmenté, qui, aux yeux de beaucoup de ses contemporains, semble un destructeur, apparaîtra-t-il à la génération suivante comme l’un des très grands et rares ouvriers de la reconstruction spirituelle de l’Espagne.

Il y a quelques mois, don Miguel reçut une décoration d’un