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professeur de grec, qui suit de près le mouvement de l’admirable littérature portugaise et tous les essais de l’Amérique latine (sans exclure l’Amérique anglo-saxonne), pourrait bien être l’humaniste le plus complet de notre époque, et qu’il n’est personne sans doute, en aucun pays, qui n’ait à puiser, et beaucoup, dans ses essais.

Les étrangers cultivés qui passent à Salamanque ont le privilège d’entendre ses conversations, qui sont, pourrait-on dire, comme les essais de ses essais. C’est une chose étonnante que cet homme qui travaille tant, qui écrit tant, et qui, à la différence de beaucoup d’écrivains arrivés, lit tant, trouve encore du loisir à donner généreusement au passant. Il accueille celui-ci près de sa table de travail, sur laquelle se dressent de petits animaux en papier, évolution d’un genre dont la cocotte est l’origine, mais évolution poussée si loin par don Miguel que seuls les techniciens pourront se rendre compte des merveilles réalisées quand je dirai qu’il a créé des quadrupèdes. Le soir, avant le diner, il entraine le visiteur sous les arcades de la magnifique Plaza Mayor où tout Salamanque défile ; mais il est une promenade plus agréable encore et plus intime, c’est celle qu’il fait faire tantôt sur la route de Zamora, où les soleils d’hiver ont une splendeur digne du siècle d’or, tantôt dans le sentier qui longe le Tormès et où un rideau de peupliers tempère les soleils d’été de sa bruissante fraîcheur.

Il suffisait ici de caractériser la période tumultueuse de la vie intellectuelle d’Unamuno. Je ne tenterai pas plus de faire l’inventaire des idées, qui surabondent dans ses essais de toute nature, que de redire nos longs entretiens, plus riches encore, de la bibliothèque où il travaille, de la Plaza Mayor, de la route de Zamora ou des bords du Tormès. Mais il faut bien qu’on sache que le torrent de ses idées, si tumultueux sur les bords, et qui gronde en écumant contre les rochers rencontrés à la traverse, est, au centre, cristallin, et plus puissant que violent ; et puis les eaux sauvages de ses multiples affluents se rassemblent et se disciplinent. En la vigoureuse maturité actuelle de don Miguel, l’innombrable torrent se convertit en fleuve, quoiqu’il conserve un élan formidable et qu’on y puisse encore distinguer, dans le même lit, la rivalité de deux grands courants.

Il nous reste à caractériser cette maturité.