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avec respect devant l’exemple de M. Varages, dont le côté naturel n’exclut pas la beauté grave. Aussi, Madame, je ne puis dissocier de la pensée de votre malheur si soudain celle de votre long bonheur qui s’y trouve enclose. Et plus que de simples condoléances, c’est un hommage général que je vous prie d’agréer ici, à l’occasion de la mort de M. Varages, et en son souvenir. Je mêle, à tout ce que je vous exprime, la pensée de M. Varages votre fils.

RENAUD DANGENNES.


Philippe Pageyran à Renaud Dangennes.


Paris, février 1894.

Mon cher ami, le journal m’est tombé des mains. Je ne sais ce que j’ai ressenti d’abord. Je t’écris dans la première violence de mon émotion. Il m’est impossible de ne pas t’écrire, quitte à te paraître insensé. Je souffre pour toi. Car tu dois souffrir étrangement, d’une aussi grande douleur s’abattant sur des épaules aussi chères. Il est certain que si tu étais Dieu, tu ressusciterais cet homme, et que tu restaurerais aussitôt en sa paix habituelle un foyer dont le bonheur t’est plus cher que toute autre chose. Mais as-tu même le droit d’exprimer, à celle qu’il intéresse, l’inutile souhait de ta généreuse souffrance ?

Mon pauvre ami, l’angoisse m’étreint. Comprends-tu ? Angoisse de m’imaginer tes sentiments. Angoisse de ce vide soudain, créé par la chute de ce bloc de près de trente années. Il me semble que tu viens de perdre à nouveau ton rêve d’autrefois, puisqu’Anne-Marie vient de perdre le résultat heureux forgé alors par le sacrifice de ton rêve. Et tu pleures devant cette perte renouvelée, devant cette pensée que l’événement d’aujourd’hui rend en quelque manière stérile ton arrachement lointain, et qu’en même temps, à cause de cela, cette tombe scelle à jamais...

Ah ! je préfère retenir ces nuances d’une méditation aussi confuse à formuler que j’en ressens avec acuité le thème et les termes. J’irai te voir. Cela vaut mieux. Excuse cette lettre un peu folle. Mais elle est d’un ami qui ne permettrait à personne de se dire aussi complètement que moi ton ami.

PHILIPPE P.