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de Cannes, — se hâta d’accepter les 175 000 tonnes auxquelles on entendait réduire le tonnage du « gros » de notre flotte ; et cette concession, opportune peut-être, ne devait pourtant pas désarmer nos adversaires.

Bien au contraire, — car c’est toujours une question, en politique, de savoir s’il ne vaut pas mieux tenir ferme sur les positions que l’on a prises plutôt que d’en faire abandon à qui ne vous en saura jamais gré, — quand il fut question des sous-marins [1], que l’on nous en proposa négligemment 37 000 tonnes, et que, découvrant nos batteries avec une incontestable franchise, nous en réclamâmes 90 000, la délégation anglaise pensa triompher.

A ce coup, en effet, le soulèvement de l’opinion était devenu violent et son expression, dans quelques journaux, atteignait l’injure [2], tandis que, dans presque tous les autres, on nous accablait de reproches et on dénonçait notre incurable impérialisme. Cette dernière accusation, devenue banale à force d’être répétée, n’est au fond, on le sait, que le « haro sur le baudet ! » des Animaux malades de la peste. Malheureusement, les fables de notre bon La Fontaine sont peu connues de l’autre côté de l’Océan. Certaines feuilles, pourtant, qui appartiennent à la « presse Hearst, » — celles-là même que nous jugions germanophiles pendant la guerre, — applaudissaient à la crânerie des experts navals français qui, disaient-elles, osaient enfin tenir tête à l’Angleterre, despote des mers, et méritaient d’être encouragés dans leur ténacité à ne pas sacrifier les seules armes capables d’intimider le Gouvernement et l’Amirauté britanniques.

Mais ce n’était là qu’une minorité. On peut dire que, pendant quelques semaines, la France fut traitée par la plupart des citoyens conscients de la libre Amérique avec une extrême sévérité. Cela nous étonna beaucoup. Nous ne pensions pas que ce fût possible [3]. Le fait, cependant, n’était pas absolument

  1. Après les bâtiments légers de surface, dont on nous accorda, sans difficulté, ce que nous demandions : 300 000 tonnes. L’amirauté anglaise, en effet, ne redoute, dans la « poussière navale, » que les pelites unités qui peuvent jouir, — comme les sous-marins — de l’intégral bénéfice de la surprise.
  2. Un des principaux journaux américains représenta, à cette occasion, la France se couvrant du casque prussien.
  3. A lire, à ce sujet, les renseignements curieux que donne le Temps du 4 mars sur l’organisation de la propagande anglaise à Washington et, dans le même journal, n° du 8 mars, les réflexions de M. Joseph Galtier sur le néant de la nôtre.