Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/642

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secret sur bien des points, et particulièrement sur toutes questions financières. Entre les deux époux dont l’un cherchait, en toutes matières, à esquiver un contrôle que l’autre eût voulu lui imposer, son rôle était, — on va le voir, — particulièrement épineux.

Il arrivait d’ordinaire, ses heures de bureau terminées, vers la fin de l’après-midi ; il attendait que Chateaubriand rentrât de ses visites politiques, mondaines, ou sentimentales, — à moins que ce ne fût d’une séance de la Chambre des Pairs. Il attendait en subissant les humeurs de Mme de Chateaubriand : « Mais enfin, m’expliquerez-vous ?... » Et il avait bien du mal à rendre à peu près admissible pour elle ce qui, pour tout autre, n’eût été que trop clairement explicable. Survenait enfin le patron ; il racontait les potins politiques, ses polémiques au Conservateur où sa plume de journaliste jetait foudres et éclairs, les allures de conspirateurs que Villèle et Corbière prenaient aux réunions Piet ; et son espoir enfin d’un prochain triomphe de l’opposition dont il se proclamait le chef...

Ce triomphe se produisit avec une rapidité relative : le 1er janvier 1821 ouvre la période brillante de la carrière politique de Chateaubriand : ce jour-là il roule, dans une confortable voiture, vers les routes du Rhin, pourvu du titre sonore, et des considérables appointements, « d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté près la cour de Prusse ; » malgré la neige et le gel, il voit la vie en rose ; « pour la première fois de son existence, il court sur les chemins avec tous les conforts de l’argent... »


MAURICE LEVAILLANT.