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travail littéraire fait par M. Bail[1]… » Car il faut bien, — pour une première fois surtout, — justifier le versement. Et pourquoi M. Bail n’aurait-il point, par exemple, effectué des recherches aux bibliothèques, pour l’Histoire de France dont Chateaubriand reprenait alors le projet ?

Le nom de l’officier polygraphe reparait encore deux fois : « 13 août. — Les 90 francs restants, vous voudrez bien les remettre avec 10 francs de plus (c’est-à-dire en tout 100 francs) à M. Bail lorsqu’il viendra vous les demander. » — « 24 septembre.— Donnez, si vous le pouvez, 150 francs à M. Bail[2]… » L’année suivante, la situation de l’ancien officier est enfin régularisée ; il est mis « en réforme, » avec une petite pension ; et il va habiter, dans la vallée de Montmorency, le village, autrefois délicieux, de Margency ; il y retrouve les souvenirs de Rousseau qu’il aime, et, penché des heures chaque jour sur sa table de travail, il accumule histoires sur dissertations : une Histoire politique et morale des Révolutions de France, de 1787 à 1820, où il déclare superbement : « La liberté est une plante qu’on ne saurait naturaliser chez nous ; le système représentatif est une ridicule fiction… ; » un Napoléon aux Champs-Elysées où, en 1821, il montre l’Empereur accueilli par les ombres des grands capitaines et aussi parcelles de Louis XIV et… du duc de Berry ; un État des Juifs en Europe au Moyen Age qu’il présente à l’Académie des Inscriptions en 1823, et que celle-ci ne couronne pas ; et puis, sans doute tombe-t-il malade, car brusquement, après 1823, il garde le silence…

Depuis 1818, sa femme, chaque mois, vient à Paris toucher la pension que continue de lui consentir la munificence du grand homme. Parmi le tumulte et le faste de ses ambassades, Chateaubriand n’a garde de l’oublier. Même, à mesure que s’accroissent les embarras du misérable ménage, il s’efforce d’accroître son aide ; il en vient à assumer le loyer de la petite maison de Margency.


Berlin, 20 mars (1821).

« La pauvre Mme Bail vient de m’écrire, mon bon M. Le Moine. Elle est bien malheureuse. Je lui réponds d’aller vous voir : il s’agit du loyer de sa petite maison, qu’elle ne peut payer. Voyez s’il serait possible d’arranger cela avec son hôte,

  1. 19 juillet 1917. Inédit
  2. Inédit.