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roi Louis XVIII ; c’était environ le cinquantième des Cent Jours ; prêtant à son maître le vain appui d’une éloquence fastueuse, et d’ailleurs perspicace, il venait d’imprimer au Moniteur de l’exil, le Rapport sur l’état de la France fait an Roi dans son conseil... Une réfutation en parut, peu de jours après, à Paris : une réfutation écrite par ordre, assure Chateaubriand : un pamphlet dicté par la police, où des lambeaux du Rapport se trouvaient falsifiés : Chateaubriand y était représenté comme « proposant à Louis XVIII des stupidités pour le rétablissement des droits féodaux, pour les dîmes du clergé, pour la reprise des biens nationaux. » Bref, dans la circonstance, « Bonaparte agit ou laissa agir d’une manière peu digne de lui. » Et pourtant Chateaubriand avoue que le « pseudonyme » qui s’était « chargé de ce pamphlet sans sincérité était un militaire d’un grade assez élevé. »

Ce militaire en fut bien puni ; mais aussi dut-il se féliciter de s’être attaqué à un homme aussi peu vindicatif, aussi magnanime que le grand écrivain. En effet, explique celui-ci, « il fut destitué après les Cent-Jours : on motiva sa destitution sur la conduite qu’il avait tenue envers moi ; il m’envoya ses amis : ils me prièrent de m’interposer afin qu’un homme de mérite ne perdît pas ses seuls moyens d’existence : j’écrivis au ministre de la Guerre, et j’obtins une pension de retraite pour cet officier...» [1]

Au bas de cette page, M. Edmond Biré, scrupuleux annotateur, affirme que tout cela est « rigoureusement exact ; » et il cite ce fragment de la lettre que Chateaubriand écrivit au duc de Feltre, ministre de la Guerre, en faveur de l’officier libelliste, le 22 août 1816 : « Un monsieur Bail, inspecteur aux revues, a fait une brochure contre moi. Il a, pour ce fait, dit-il, perdu sa place. Oserai-je, monsieur le Duc, espérer de votre indulgence que vous voudrez bien lui rendre vos bontés ? La personne du Roi est respectée dans cette brochure. Veuillez, monsieur le maréchal, oublier ce qui ne regarde que moi... [2] » Le pamphlétaire s’appelait donc Bail ; il était inspecteur aux revues, c’est-à-dire, contrôleur des services de l’intendance. Et il avait une femme ; c’est un détail que Chateaubriand n’omet point. Il termine ainsi son édifiante narration : « La femme de cet officier est restée attachée... » A qui ? A son bienfaiteur ?...

  1. Mémoires d’Outre-Tombe tome III, p. 508.
  2. Lettre recueillie dans la Correspondance générale, t. I, p. 301.