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charmé quand vous viendrez [1]. » Chateaubriand pouvait-il moins bien accueillir le serviteur des Montmorin qui, soudain, au seuil de la vie politique, lui ramenait, comme un heureux présage, le fantôme effacé de Pauline de Beaumont ?

Ils se virent ; ils parlèrent moins du passé, sans doute, que du proche avenir ; mais le passé planait au-dessus de leurs têtes ; et Mme de Chateaubriand, aussi, comment, derrière le révérencieux vieillard, n’eût-elle pas aperçu l’image de la tendre femme qui, mourante, lui avait rendu, d’un mot, un mari trop aimé ? Il semble, en tout cas, qu’elle lui ait marqué très vite une confiante sympathie...

Chateaubriand mit son crédit au service de ce solliciteur introduit par une ombre ; M. Le Moine fut confirmé dans son emploi à la Caisse des dépôts et consignations. Il obtint en outre l’amitié du grand homme. Celui-ci comprit de quel secours lui pouvait être l’ancien serviteur du ministre Montmorin, par sa connaissance de la société politique de l’ancien régime. Ces émigrés qui faisaient sonner si haut leurs titres aux Tuileries et dans les antichambres des ministres, ces suffisants « chevaliers de l’Eteignoir, » dont le Nain Jaune entreprenait l’amusante caricature, M. Le Moine les avait vus, trente ou vingt-cinq ans plus tôt, tourbillonner autour de Necker et de Louis XVI ; il savait leurs filiations, leurs alliances, leurs prétentions, leurs manies ; il serait pour l’apprenti-ministre d’aujourd’hui, le plus clairvoyant des secrétaires ; et, de surcroît, le plus enthousiaste. Mais, par une chance, il se trouvait posséder le chapitre des finances autant que celui de la politique : s’il acceptait de surveiller, de débrouiller, d’améliorer « les chiennes d’affaires » du grand homme ?...

Il accepta ; et Chateaubriand ne tarda pas à le nommer dans les règles son « ministre des finances [2], » tandis que Mme de Chateaubriand lui conférait le titre, moins redoutable, de « premier gentilhomme ordinaire de sa chambre [3]. » A la fin de l’année 1817, il était installé dans l’intimité du ménage.

  1. 22 décembre 1814, inédit.
  2. Voir plus loin ses lettres inédites.
  3. Pailhès, Lettres de M"" de Chateaubriand à Clausel de Coussergues, p. 66.