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de passer chez moi ; mais de lui dire au contraire que j’ai un rhume affreux qui ne me permet pas de sortir : vous vous éloignerez peu de la vérité : aujourd’hui, pour la première fois depuis bien longtemps, j’ai quitté ma chambre et je m’en trouve assez mal. Je dois même y être retenue par des drogues que je me suis enfin déterminée à prendre. Si vous aviez déjà rendu compte à ma tante de la commission dont elle vous avait chargé, soyez assez bon, monsieur, pour me le faire savoir ; alors je lui écrirai. J’ai bien du regret de n’avoir pas eu le plaisir de vous voir. Je vous prie, monsieur, de recevoir l’assurance de mon ancien attachement.

M. B. [1]. »


Ce même jour [2], 21 floréal, elle était particulièrement triste ; elle écrivait dans ses notes, au retour, sans doute, de sa périlleuse première sortie : «... Ma vie passée a été une suite de malheurs, ma vie actuelle est pleine d’agitations et de troubles ; le repos de l’âme m’a fuie pour jamais. Ma mort serait un chagrin momentané pour quelques-uns, un bien pour d’autres, et pour moi le plus grand des biens. Le 21 floréal, 10 mai, anniversaire de la mort de ma mère et de mon père :


Je péris la dernière et la plus misérable !... »


Avant de partir, elle songe au sort de ses amis, et particulièrement à celui de M. Le Moine : il n’était pas riche ; il désirait utiliser ses connaissances de comptable dans l’administration financière que le premier Consul achevait, cette année-là de réorganiser solidement... M. Mollien était l’un des réorganisateurs ; Mme de Beaumont connaissait un ami de M. Mollien, un homme qui avait fréquenté autrefois le salon du ministre Montmorin et qui, spécialiste lui-même des choses de la finance, était en train de se pousser dans l’administration nouvelle ; elle lui écrivit pour lui demander de faire nommer M. Le Moine comptable à la Caisse d’amortissement. Or cet homme s’appelait l’abbé Louis... Et il semble bien qu’en lui écrivant, c’est une grande marque d’attachement que Mme de Beaumont a donnée à M. Le Moine...

Car, en 1792, un bruit avait couru les salons parisiens, bruit

  1. Inédit.
  2. Indiqué par le cachet postal ; la lettre elle-même n’est point datée.