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CHATEAUBRIAND
ET SON MINISTRE DES FINANCES
D’APRÈS UNE CORRESPONDANCE INÉDITE

« Je sème l’or... »
Ancienne devise des Chateaubriand,
« La triste nécessité qui m’a toujours tenu le pied sur la gorge... »
Avant-propos des Mémoires d’Outre-Tombe.


Chateaubriand a dédaigné beaucoup de choses au monde ; on peut même dire qu’il a dédaigné toutes choses de ce monde, mais aucune d’un dédain plus entier, plus fondamental et plus net que cette forme de la fortune qu’on appelle communément la richesse ou l’argent. Ce sentiment, chez lui, n’a rien de théorique ni de convenu : c’est un dédain après misère faite, et professé en connaissance de cause. L’homme qui écrit les Mémoires d’Outre-Tombe a éprouvé les extrêmes de l’opulence et du dénuement : à Londres, en 1793, il a vécu cinq jours dans un grenier, avec les miettes d’un pain de deux sous, en mâchant de l’herbe et du papier ; à Londres, en 1822, comme ambassadeur du roi de France, il a jeté l’or aux yeux éblouis de la « gentry : » le jour qu’il meurt, après avoir achevé de vieillir dans une claustration à demi monacale, il ne possède guère, en plus de son tombeau, qu’un lit de fer et, dans une caisse en bois blanc à la serrure rouillée, le trésor déjà dilapidé de ses Mémoires. Un tel homme, quand il parle de la richesse, utilise une expérience qu’on ne saurait accuser d’être incomplète ; par une particulière complaisance du destin, c’est un homme informé.

Or, la plupart du temps, le dédain que Chateaubriand