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erraient autour de nous : des notes grêles, plaintives, prolongées, comme de délicats oliphants invisiblement promenés dans l’espace. Cela gémissait faiblement, et l’on eût dit assez loin, à droite, à gauche, en avant, en arrière ; et cela revenait toujours. Des sons fantômes, des appels d’esprits flottant dans le mystérieux soir pâle...

Le marin ne put rien m’expliquer Mais je sus plus tard que dans certaines fermes du pays, on conserve encore des trompes, des cornes de vaches, où le rite est de souffler en allumant le feu de la Saint-Jean, et où les enfants soufflent encore deux ou trois jours après la fête.

Tout semblait enchanté, ce soir-là dans ce creux caché de la Rivière. Je me rappelle la subite et muette apparition, au détour invisible du ravin, d’un grand dundee, voiles ouvertes, — tout blanc. Un prodigieux insecte surgissant d’une muraille de feuillage...


Ce matin aussi, au tournant d’un Virecourt, nous voyons surgir un grand bateau, — bien réel et prosaïque celui-là mais dont la soudaine présence, en ce lieu profond, n’est pas moins surprenante. C’est un peu plus haut, dans un de ces replis, où la mer s’insinue comme un gave dans une gorge, mais le vert qui s’y délaie, sous les deux rampes de verdure, est autre : vert épais, où les hêtres, fougères, ajoncs, versent leurs reflets, — du gris, du bronze, de l’or, — que le vent, par ici, recommence à rompre.

En silence, derrière nous, un noir sardinier est apparu ; aux ailes tannées de brun. Corentin le reconnaît : le Refuge du Prolétaire, de Douarnenez. Qu’est-ce qu’il vient faire, ce révolté, dans la paix de nos bois ? Il file mieux que nous, mais un instant nous courons bord à bord. Dans le ravin qui sentait les pins et la feuille morte, il apporte son effluve à lui : une odeur de goudron, de saumure, de misère. Quatre gars sont assis sur les bancs : sérieuses têtes d’ouvriers de la mer. Il paraît que ça vente dur, et que ça mouille dehors : leurs voiles sont encore raidies de sel. Ils portent leurs cirés, que le temps a flétris, foncés du même ton que leur voiture. Couleur triste, qui parle de vie rude, de lutte obscure, héréditaire, quotidienne contre l’élément.