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silencieuse coulée, on n’est plus que la chose d’une force souveraine. On tournoie aux magnifiques remous lustrés ; de subites poussées vous assaillent par-dessous, vous bousculent. Fluide, irrésistible violence ! Les rives courent, le fond du ravin s’ouvre, on débouche devant une perspective nouvelle, plus fermée, plus profonde, plus inviolée, où rien n’est plus que les grands bois. Merveilleuse solitude !


J’ai souvent cherché ce qui fait le charme singulier de ces petits fiords, si fréquents aux pays celtiques (j’en ai connu de pareils dans l’autre Bretagne, au long des côtes comiques et galloises). C’est d’abord, un peu partout, le touchant accord d’un petit monde champêtre, paysan, et de l’eau immortelle que l’on a vue mouvante, librement épandue, seule surface de la planète sous le soleil. Elle peut se faire si petite, si intime, si bretonne, finir si doucement au dernier détour d’une anse ! Mais elle y porte la pulsation des Océans, et rien qu’à son lustre lourd, à sa couleur épaisse, on voit bien que c’est la mer. Les eaux venues du ciel n’ont pas cette gravité. Il y a toujours du solennel, du secret dans cette présence.

Peut-être aussi la singulière union des deux éléments, de deux mondes. Parmi les taillis, les champs, les prés familiers, où sont nos fleurs, nos plantes et nos bêtes, cette glauque profondeur chargée de la salure des eaux primitives, où naissent, évoluent comme dans un autre univers, d’autres formes de la vie.

Mystérieuses retraites de la mer, au creux du vert pays breton ! Mais leur charme est surtout de paix. Nulle part je n’en ai senti la douceur comme en ces replis de la rivière. Tout à l’heure, dans une baie, nous longions une petite plage sous des prairies dont le soleil illumine la pente. Il y avait des groupes d’arbres admirables : c’était comme un parc abandonné. Des bestiaux venus du pâtis s’espaçaient sur la grève. Lentement les sages bêtes s’en allaient toutes seules vers la pointe, en route vers quelque invisible ferme, au long de cette plage qu’elles suivent tous les jours. L’une d’elles, de robe dorée, a posé sa tête sur la barrière ouverte, et s’est mise à mugir nostalgiquement au paysage. Ces bestiaux étaient là les seuls vivants : un paisible troupeau primitif, qui s’allonge sur les galets. Bel accord de leur procession et des longues lignes de forêts, de grèves, de prés dont l’herbe mollement s’éclaire.