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dirait que les choses dont ils parlent leur sont arrivées d’elles-mêmes, que tout s’est inévitablement déroulé comme cette succession de bois et de promontoires qui viennent en silence glisser sous nos yeux.

Ils sont de la nature, la vieille humanité indigène du pays. Ils participent du génie de ces lieux où du passé semble s’éterniser. Ils en ont l’habitude héréditaire comme les hérons qui s’envolent à marée basse des grands chênes de Lanhuron, ou les courlis qui rasent, le soir, la grève du Vur-Ven. Ils m’apparaissentliés delà même façon à ce paysage immémorial et fermé de la rivière que j’ai tant regardé auprès d’eux, — auprès d’autres, aussi, qui ne sont plus là...


La rivière, je la regarde toujours. Par delà les petits humains éphémères, c’est elle, dans ce pays, la présence principale et la vraie vivante. Vie à part, mystérieuse, qui dure et change toujours, comme celle de la mer. Les mêmes émotions la traversent, qui, au large, passent sur la face de l’étendue.

Je crois bien que j’en sais tous les visages, ceux qui sont du matin et du soir, ceux qui reflètent le temps et la saison. Ils sont si variés ! A présent encore, au milieu de l’automne, c’est parfois le plus jeune et divin de tous, celui qui nous ravit presque chaque jour, au début de chaque été, quand, sous le petit vent du Nord, son azur pâlit dans la lumière. Azur allégé, vaporisé, comme alors celui des eaux sans limite ; pur esprit, qui semble entre les bois flotter et s’essorer dans une extase. L’étrange contraste, après ces journées éthérées, de ses lourds, torpides sommeils, de ses splendeurs ou noirceurs inertes, quand l’haleine de l’orage pèse sur elle et sur la mer ! Et puis ses réveils, ses animations subites, ses véhémences lumineuses, par brise fraîche du Nord et du Nord-Est. Toute dansante alors, sous le ciel éclatant, çà et là soudain assombrie quand la rafale la zèbre d’ombres qui fuient, se propagent comme une panique. Quelle allégresse, en ce clair tumulte, la toile réduite, le bateau penchant aux risées, de courir à travers les vagues, les vives, courtes vagues traversées de soleil, qui brisent et vous fouettent la figure d’eau sauvage !

A tous ses moments, elle parle, elle attire. Mais plus mystérieuse, aux approches du mauvais temps, quand elle tourne à