Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amie, que j’ai plaisir, chaque année, à retrouver à sa place, au-dessus de telle pointe ou petite plage. Il y a des châtaigniers qui se dorent comme des pampres sur les fonds de verdure éternelle. J’entends le petit bruit mat de leurs coques qui tombent.

Très loin, du côté des Virecourt, entre les promontoires boisés, une goélette évolue. O solitude, ô grandeur !

Une anse vient de s’ouvrir, celle qui finit entre deux feuillées sauvages, devant un peu de campagne humaine. Quelques champs sur une pente, des prés, une fumée bleue derrière des pommiers ; — mais nulle route visible, nul sentier au long de ces rives. Tout cela, que je n’ai jamais aperçu que de la rivière, et que l’on dirait détaché de notre monde, tout cela vient se révéler à l’œil qui passe devant le paysage endormi.

L’œil qui passe n’est qu’un miroir, porté comme les bulles d’air par les grandes eaux silencieusement affluentes...


Le vieux parlait de mettre une ligne dehors. Alors, comme il n’avait pas de boette, nous sommes descendus sur les varechs, et il est allé bêcher la vase. La basse vapeur du ciel commençait de s’éclaircir sous l’influence de la marée montante. Du bleu a suinté dans l’air. Maintenant tout semble tourner au bleu : bleu fumeux des bois dans la buée qui n’a pas fini de s’en essorer ; bleu lustré de la mer qui s’allonge sous les pinèdes, pure et modeste comme un ruban de jeune fille.

Un peu de vent vient avec le soleil. On l’entend s’élargir, approcher, émouvoir longuement les cimes de l’autre rive. Et peu à peu, chaque fois, — le temps que nous arrive la risée, — un argentin, léger frisselis de vaguelettes sur le gravier de notre bord.

Et aussi, comme l’an dernier, le lointain, l’automnal ronron d’une batteuse. Est-ce la profonde paix du lieu, qui m’y rend plus sensible ? Je retrouve toujours ici de ces lentes rumeurs continuelles, qui semblent l’âme même du paysage, une âme partout épandue, qui vous prend, vous enveloppe de large, apaisante douceur. Il y a trois mois, c’était l’innombrable soupir des tourterelles, si flûté, rythmé, d’une sonorité de somnolence comme celle-ci, mais voluptueuse : la respiration du jeune été qui rêve et soupire dans la lumière.

Et voici que tinte la cloche du bourg. Une seule note, interminablement