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lumière de tel regard, dans le visage bronzé du vieux troupier qui n’a jamais cessé de faire campagne, ou la ténacité de tel tempérament de risqueur et de lutteur, qui ne lâche pas prise, ou la bonhomie de telle solide tête de campagnard français, dont toute la science guerrière n’a pas entamé la simplicité, ni l’abnégation effacé la finesse ? Ce sont, là il est vrai, des traits psychologiques, et la peinture ne se saisit que des apparences. Mais, précisément, tous ces soldats se trouvent avoir des physionomies si caractéristiques et si révélatrices qu’il n’est nullement besoin de scruter les consciences : il suffit de lire les visages. Jusqu’ici, qui l’a fait ?

Les civils ont été plus heureux. Le Portrait de M. Millerand par M. Marcel Baschet, est un bon ouvrage, solide et qui ne déçoit pas. Un homme trapu, large d’épaules, debout, vous regarde, les poings aux entournures de son gilet. « On regarde toujours les mains de celui qui tient le pouvoir, » dit Tolstoï. Ici le peintre n’y perdra pas : elles sont admirablement dessinées et modelées dans l’ombre. Tout, d’ailleurs, est si étoffé et lié ensemble dans cette figure, le relief si fort, les valeurs si justes, qu’on ne se demande même pas si M. Marcel Baschet est un coloriste. Il n’y a pas d’accessoire : seulement un bout de bureau, et sur ce bureau, un volumineux dossier que, sans doute, son modèle vient d’étudier : le dossier de la France. Autrefois, averti par la grande bande diagonale rouge, le passant disait : « Ça, c’est un président de la République. » Il dit aujourd’hui : « Ça, c’est un homme d’Etat, » ou si sa clairvoyance ne va pas jusque-là : « C’est un homme ! » — Depuis le Thiers de M. Bonnat, exposé au Salon de 1817, tous les Présidents semblaient « posés » par le peintre : celui-ci paraît surpris dans une attitude qu’on suppose accoutumée. Cela fait une grande différence. Depuis, et sauf M. Thiers, aussi, ils avaient tous, quoique ressemblants et différenciés, un trait commun : celui du repos, de la quiétude, de la béatitude, ce qui leur donnait un air de famille, plus boutonné chez M. Grévy, plus grave chez M. Carnot, plus en dehors chez M. Félix Faure, plus éveillé chez M. Loubet, plus rassis chez M. Fallières. Etait-ce une illusion ? On y sentait la fonction plus que l’homme. Le portrait de M. Millerand, comme celui de Thiers, nous met en présence d’une individualité concentrée, attentive, prête à se manifester, de quelqu’un qui ne s’est pas encore retiré sur