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quand les Primitifs s’appliquaient à l’analyse ; ils cherchent à oublier la science acquise avant eux, quand les Primitifs se servaient ostensiblement de tout, ce qu’on avait découvert avant eux, pour y ajouter, s’ils pouvaient ; ils cherchent à cacher l’habileté du faire, quand les Primitifs déployaient leur virtuosité dans tous les sens, trop heureux de montrer leur savoir ; ils cherchent la stylisation, lorsque les Primitifs cherchaient le trompe-l’œil. Ils n’y sont point parvenus, c’est entendu, et nous en louons Dieu tous les jours, mais c’est là qu’ils tendaient de toutes leurs forces et c’est si clairement écrit, dans toutes leurs œuvres, comme d’ailleurs dans le peu de textes conservés, qu’on est émerveillé de voir leurs admirateurs les avoir si peu compris !

Et ce que les artistes du trecento cherchaient, c’est ce que réclamait d’instinct la foule de leur temps, de tous les temps. Seulement, celle de nos jours a vu déjà réalisées des figures qui satisfont ce désir de vérité ou de beauté régulière, elle est dès longtemps instruite des proportions par des images exactes qui l’entourent ; elle demande aux peintres chargés de l’édifier une vraisemblance beaucoup plus grande qu’autrefois. Les vertus savoureuses que nous découvrons dans les œuvres primitives la touchent peu : elle ne voit que leurs défauts. Il suffit de confronter les visiteurs populaires du dimanche au Louvre avec les tableaux de piété réunis dans la salle des Primitifs français et flamands pour être fixé. Et nos curés le sont depuis longtemps, sur toute l’étendue du territoire, qui par hasard ont dans leur église quelqu’une de ces œuvres archaïques : le mieux est que les fidèles ne les regardent pas, s’ils doivent éclater de rire à des scènes de la Passion, par exemple, ou déplorer que la sainteté rende les gens si vilains.

Et il ne sert de rien de dire que le peuple a mauvais goût, car quelque goût qu’il ait, c’est pour lui qu’on travaille, et non pour soi, et s’il n’est pas impératif en tout ce qu’il souhaite, il l’est du moins en ce qu’il proscrit, car ce qu’il proscrit le choque, et le premier devoir de l’artiste religieux est de ne pas choquer, — ici, « scandaliser, » — ceux qu’il s’agit d’édifier. C’est encore un pauvre argument, que de prétendre le former à la longue et faire son éducation à force de lui imposer ce qui lui fait horreur et pitié. Quand ce serait vrai, qu’importe, puisque ce n’est pas à des générations à venir qu’on destine les