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de pleins. Un des grands traits qui distinguent les Salons d’aujourd’hui de ce qu’ils étaient autrefois, c’est l’absence complète, de « sujets, » non seulement d’histoire et de guerre, mais de sujets déterminables et racontables, quels qu’ils soient. Quelle évolution, si l’on songe que, jadis, il fallait, pour figurer parmi les artistes officiels, être « peintre d’histoire, » et que M. Ingres méprisait tout autre nom ! Même les sujets sentimentaux font à peu près défaut, et toute action anecdotique, si mince qu’elle soit, toute affabulation est abandonnée. Quand un artiste expert à ordonner des lignes nobles et de belles harmonies, comme M. Aman Jean, veut nous montrer mieux qu’une étude d’après nature, il fait défiler des bestioles costumées devant une belle dame étendue, dans un jardin, sous des ombrages retombants, et intitule cela Répétition, sans qu’on puisse discerner de quoi il est question, et de quelle comédie c’est le prologue. Quand M. Tonnelier intitule Premières Tendresses une figure de femme adorant une poupée, il est clair que le titre n’a rien à faire avec le sujet, lequel est purement esthétique. Tout le reste n’est qu’impressions heureusement rendues : par exemple, le Matin au balcon de M. Lebasque, d’une extrême fraîcheur lumineuse, la Nature morte de M. Giraud, harengs et eucalyptus, l’Intérieur de Mlle Bessie Davidson, d’une finesse et d’une justesse admirables dans des jeux de soleil très compliqués, le Plafond de M. Edelmann, conçu à la manière des plafonds circulaires d’Italie, notamment celui de Mantoue, avec des figures curieuses qui se penchent au balcon et un trou vers le ciel. Il y a, ainsi, sans un seul sujet, une infinité de bonnes peintures.

Quand on évoque, par le souvenir, ce qu’on voyait il y a quelque quarante ans au Palais de l’Industrie, et qu’on le compare à la peinture actuelle, il n’y a pas de doute que les paysages, les scènes de genre, les natures mortes, les intérieurs, tous les aspects familiers de la nature et de la vie soient infiniment mieux rendus aujourd’hui. Pour le Portrait, on hésite. Il y a peu de bons portraits cette année à la Nationale : il n’y en a pas d’excellent. Il y a celui de Mlle Vacaresco par M. Jacques Blanche, d’un coloris savoureux, d’une facture magistrale, d’un mouvement imprévu. M. Jacques Blanche parvient toujours à voir son modèle dans une attitude nouvelle, juste, caractéristique : il n’y a peut-être pas, dans la longue galerie