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d’abord quelles tendances nouvelles entraînent les artistes. Il en est qui sont nées sans fracas de théories, sans dessein concerté, et qui peu à peu transforment l’aspect des Salons. Tel est le sentiment de l’arabesque, telle est la délectation de la mosaïque, tel est ce qu’on pourrait appeler « l’esprit du vitrail » appliqués à la peinture. Dans nombre de paysages, scènes mythologiques de fantaisie ou de genre, les figures sont découpées par un cerne dur, comme plomb de verrière, les couleurs très violentes plaquées sans dégradation aucune, par larges morceaux ; les arbres, les montagnes, les nuages même profilés comme les morceaux d’un puzzle emboîtés les uns dans les autres. Le peintre ne cherche plus ce qui a été si longtemps son ambition : la profondeur, le clair-obscur, le modelé intérieur et le relief des choses, ni à les plonger dans l’atmosphère, et en faire vibrer tous les atomes. Il se contente d’un effet de décoration plate.

Si l’on regarde les Vieux pins sur le ciel de Mme Florence Esté, les Anciens ports de Carthage de M. Burnside, ou le Daphnis et Chloé de Mlle Chaplin, on verra quelques exemples de cette tendance nouvelle. De même, le Paysage de M. Castellanos, qu’on imagine très bien en vitrail, le Paysage de printemps, panneau décoratif de M. Henri Marret, qui remplit bien son objet, comme ferait une tapisserie, la Suzanne et les vieillards, de M. Jeanès, peinte à tempéra, et les belles études pour fresque de M. Antoni : le Repos de Samson. Dans le même esprit, il faut voir la Route de la grande corniche, de M. Kogévinas, le Jet d’eau, de M. Charmaison, la Matinée d’été à Saint-Tropez, de M. Guillaume Roger, la Résurrection de la fille de Jaïre, de M. Maurice Denis.

Et, en effet, considérées comme décoratives, ces œuvres ont un véritable charme et un ragoût très particulier. Il suffit que l’arabesque soit heureuse et les tons riches ou au moins harmonieux. Le regardant, choqué à première vue de ne pas trouver là ce qu’il cherchait d’ordinaire dans un tableau, n’a qu’à se figurer qu’on lui montre un papier peint, un projet de tapis persan ou le carton d’une mosaïque ou d’un vitrail et il rendra justice à des qualités souvent très heureuses d’ornemaniste et de coloriste. Tout ce qu’on peut objecter, c’est que voilà des effets qu’on peut obtenir avec d’autres médiums que la peinture et qu’il était bien superflu de faire tant de progrès techniques pour s’y limiter. Mais cet interchange des procédés et