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plus rempli d’étrangers que l’autre, passait pour plus ouvert aux tendances nouvelles et aux fécondes audaces de l’impressionnisme, mais la présence de Meissonier, de Carolus Duran, de Chenavard ou d’Alfred Stevens détournait les imaginations de s’échauffer trop à cette hypothèse. Il entendait du même coup se libérer des médailles, des prix, des bourses, en un mot de toute tutelle de l’Institut et de l’État. Et il est vrai qu’il n’y a pas à ce Salon de médailles, ni par conséquent de concours, ni de hors-concours, et que les exposants ne disent point quels furent leurs maîtres, selon la coutume touchante des vieux artistes d’autrefois, conservée à la Société des Artistes français. Mais on ne remarque point que ces indépendants soient moins décorés que les autres, qu’ils fassent fi des visites officielles, qu’ils repoussent les présents de la Ville ou de l’Etat. Les deux sociétés restent donc officiellement brouillées, comme certaines familles par tradition, pour des griefs oubliés depuis longtemps. Mais sans bruit elles tendent à se confondre. Depuis quelques années, un glissement insensible se fait du Salon dissident au Salon ancien et ramène au bercail des Artistes français plusieurs membres de la Nationale et non des moindres, et même des fondateurs du schisme, de ceux-là même qui allèrent planter leurs tentes loin de leurs frères, jadis, au Champ-de-Mars. Mais ils reviennent bien fatigués. Je doute qu’on ait tué en leur honneur le moindre veau gras. En toute hypothèse, s’ils ont cru, ce faisant, échapper aux « futuristes » menaçants à la Nationale, ils se sont bien trompés, car, même au sanctuaire des Artistes français, environnés du signe rassurant des H. C, ils ont retrouvé, sinon des « fauves, » au moins des apprentis fauves, qui s’appliquent laborieusement à déformer la figure humaine et y parviennent, déjà de façon très encourageante. Les uns l’étirent et l’étriquent, les autres la bouffissent et la rembourrent jusqu’au point où l’anamorphose est assez sensible pour accrocher le passant. Ainsi, les deux Salons sont pour les tendances comme pour les artistes, comme vases communicants. Et ce glissement insensible au début, mais continu, commence à vider un Salon au profit de l’autre. Ajouté à l’absence fortuite, cette année d’exposants notoires comme M. Albert Besnard, M. Cottet, M, Jean Béraud, la Nationale parait fort réduite au premier coup d’œil

Pourtant, c’est encore là que se découvrent le mieux et tout