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Connais-tu la situation à l’intérieur de l’Empire ? Te dit-on la vérité ? T’a-t-on révélé où se trouve la racine du mal ?

Tu m’as dit fréquemment qu’on te trompait, que tu n’avais foi que dans les sentiments de ton épouse. Or, les paroles quelle prononce sont le résultat de machinations habiles et ne représentent pas la vérité. Si tu es impuissant à la libérer de ces influences, sois au moins sans cesse sur tes gardes contre les intrigants qui se servent d’elle comme d’un instrument. Éloigne ces forces obscures, et la confiance de ton peuple, déjà à demi perdue pour toi, te reviendra aussitôt.

J’ai longtemps hésité à te dire la vérité, mais je m’y suis décidé, avec l’encouragement de ta mère et de tes deux sœurs. Tu es à la veille de nouvelles agitations ; je dirai plus : à la veille d’un attentat. Je parle pour le salut de ta personne, de ton trône et de la patrie.



Jeudi, 22 mars.

L’Empereur est arrivé, ce matin, à Tsarskoïé-Sélo.

Son arrestation à Mohilew n’a provoqué aucun incident ; ses adieux aux officiers qui l’entouraient, et dont beaucoup pleuraient ont été d’une simplicité banale, déconcertante... Mais l’ordre du jour, par lequel il a pris congé de l’armée, ne manque pas de grandeur :

Je m’adresse à vous pour la dernière fois, soldats si chers à mon cœur ! Depuis que j’ai renoncé, en mon nom et en celui de mon fils, au trône de Russie, le pouvoir a été transmis au Gouvernement provisoire qui a été formé sur l’initiative de la Douma d’Empire.

Que Dieu aide ce Gouvernement à conduire la Russie vers la gloire et la prospérité ! Que Dieu vous aide, vous aussi, vaillants soldats, à défendre votre patrie contre un ennemi cruel ! Pendant plus de deux ans et demi, vous avez à toute heure enduré les épreuves d’un service pénible ; beaucoup de sang a été versé, d’énormes efforts ont été accomplis et déjà l’heure est proche où la Russie et ses glorieux Alliés briseront d’un élan commun la suprême résistance de l’ennemi.

Cette guerre sans exemple doit être conduite jusqu’à la victoire définitive. Quiconque songe à la paix en ce moment est traître à la Russie.

J’ai la ferme conviction que l’amour sans bornes qui vous anime pour notre belle patrie n’est pas éteint dans vos cœurs. Que