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Milioukow, les Goutchkow, etc. Aussi, le Soviet a exigé hier soir l’arrestation immédiate des ex-souverains. Le Gouvernement provisoire s’est incliné. Quatre députés de la Douma, Boublikow, Gribounine, Kalinine et Werschinine, sont partis, le soir même, pour le Grand-quartier général de Mohilew, avec mandat de ramener l’Empereur.

Quant à l’Impératrice, le général Kornilow s’est rendu ce matin à Tsarskoïé-Sélo avec une escorte. Arrivé au Palais Alexandre, il a été aussitôt reçu par la Tsarine qui a écouté, sans aucune observation, la décision du Gouvernement provisoire ; elle a demandé seulement qu’on laissât auprès d’elle tous les domestiques qui soignent ses enfants malades, ce qui lui a été accordé. Le Palais Alexandre est maintenant coupé de toute communication avec l’extérieur.

L’arrestation de l’Empereur et de l’Impératrice émeut beaucoup Milioukow ; il voudrait que le Roi d’Angleterre leur offrit l’hospitalité du territoire britannique, en s’engageant même à assurer leur garde ; il prie donc Buchanan de télégraphier immédiatement à Londres, et d’insister pour qu’on lui réponde d’extrême urgence.

— C’est, nous dit-il, la dernière chance de sauver la liberté et peut-être la vie de ces malheureux !

Buchanan rentre aussitôt a l’ambassade pour transmettre à son Gouvernement la suggestion de Milioukow.

Dans l’après-midi, en longeant la Millionaïa, j’aperçois le grand-duc Nicolas-Michaïlowitch. Vêtu d’habits civils, la tournure d’un vieux tchinovnik, il rôde autour de son palais. Il a pris ouvertement parti pour la Révolution et il abonde en propos optimistes. Je le connais assez pour ne pas douter qu’il ne soit sincère, quand il affirme que l’écroulement de l’autocratisme assure désormais le salut et la grandeur de la Russie ; mais je doute qu’il garde longtemps ses illusions et je souhaite qu’il ne les perde pas comme Philippe-Égalité perdit les siennes. En tout cas, pour ce qui est du passé, il s’est loyalement évertué à ouvrir les yeux de l’Empereur sur la catastrophe prochaine ; il avait même eu le courage de lui adresser naguère la lettre suivante, qu’on m’a communiquée ce matin :

Tu as souvent exprimé ta volonté de conduire la guerre jusqu’à la victoire ! Mais crois-tu donc que cette victoire est possible dans l’état de choses présent ?