plus urgente !... Ne doutez pas qu’il ne me soit très pénible de vous parler ainsi. Mais l’heure est trop grave pour nous en tenir aux euphémismes diplomatiques. La question qui se pose ou plutôt qui s’impose est de savoir si, oui ou non, la Russie veut continuer à se battre aux côtés de ses alliés jusqu’à la victoire définitive et complète, sans défaillance, sans arrière-pensée... Votre talent, votre passé de patriotisme et d’honneur me garantissent que vous me donnerez bientôt la réponse que j’attends.
Milioukow me promet de chercher une occasion prochaine de nous rassurer pleinement.
L’après-midi, je vais me promener au centre de la ville et dans Wassily-Ostrow. L’ordre est à peu près rétabli. Moins de soldats avinés, moins de bandes braillardes, moins d’auto-mitrailleuses chargées d’énergumènes sinistres. Mais partout des meetings, en plein air, ou, pour mieux dire, en plein vent. Les groupes sont peu nombreux, vingt, trente personnes au plus : soldats, paysans, ouvriers, étudiants. Un d’eux monte sur une borne, sur un banc, sur un tas de neige, et parle intarissablement, avec de grands gestes. Tous les assistants ont le regard tendu vers l’orateur et l’écoutent dans une sorte de recueillement. Dès qu’il a fini, un autre le remplace et obtient aussitôt la même attention ardente, silencieuse et concentrée. Spectacle naïf et émouvant, si l’on songe que le peuple russe attend, depuis des siècles, le droit de parler !
Avant de rentrer, je vais prendre le thé chez la princesse R..., à la Serguiewskaïa. La belle Mme D..., la « Diane de Houdon, » en costume tailleur et toque de zibeline, est là fumant des cigarettes avec la maîtresse de maison. Le prince B..., le général S... et quelques habitués arrivent successivement. Les épisodes qu’on se raconte, les impressions qu’on échange, dénotent