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problème se posait ainsi devant le chef de l’état-major du Commandement suprême. L’abdication du Tsar ne risquait-elle pas de diviser l’armée ou même de la décomposer ? Il fallait d’urgence rallier tous les chefs militaires à une solution unique. Le général Roussky, commandant les armées du Nord, s’était déjà prononcé avec force pour l’abdication immédiate. Le général Alexéiew inclinait personnellement à la même conclusion ; mais l’affaire était si grave qu’il crut devoir consulter, par le télégraphe, tous les autres commandants des groupes d’armées, le général Évert, le général Broussilow, le général Sakharow et le grand-duc Nicolas-Nicolaïéwitch. Ils répondirent tous que l’Empereur devait abdiquer dans le plus bref délai.

— A quelle date le général Alexéiew a-t-il eu en mains toutes ces réponses ?

— Le 15 mars, au cours de la matinée... C’est alors que le général Alexéiew me chargea de lui faire un rapport sur les conditions dans lesquelles les lois fondamentales de l’Empire autorisaient le Tsar à déposer la couronne. Je ne fus pas long à lui remettre une note exposant et démontrant que, si l’Empereur abdiquait, il était obligé de transférer le pouvoir à son héritier légitime, le césaréwitch Alexis. « C’est bien ce que je pensais, me dit le général. Maintenant, préparez-moi vite un manifeste dans ce sens. » Je lui apporte bientôt un projet, où j’ai développé de mon mieux les idées de ma note, en m’efforçant de mettre sans cesse au premier plan la nécessité de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire. Le chef de l’état-major avait, auprès de lui, son principal collaborateur, son fidèle quartier-maître, le général Loukomsky. Je lui remets ma prose. Il la lit à haute voix et l’approuve sans réserve. Loukomsky l’approuve de même. Le document est télégraphié aussitôt a Pskow pour être soumis à l’Empereur... Le lendemain, qui était le 15 mars, un peu avant minuit, le général Danilow, quartier-maître général des armées du Nord, fit appeler au télégraphe son collègue du Commandement suprême, afin de lui communiquer la décision de Sa Majesté. Je me trouvais précisément dans le cabinet de Loukomsky, avec le grand-duc Serge-Michaïlowitch. Nous nous précipitons ensemble au bureau télégraphique et l’appareil se met à fonctionner devant nous. Sur la bande imprimée qui se déroule, je reconnais immédiatement mon texte... A tous nos fidèles sujets faisons savoir... En ces jours