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camions militaires, emplis de sacs de charbon, que déchargeait une escouade de soldats.

— Calmez-vous, sir George, lui dis-je. Vous ne pouvez pas invoquer les mêmes titres que Mme Kchéchinskaïa à la sollicitude des autorités impériales.

Il est probable que, depuis des années, plusieurs milliers de Russes ont fait des remarques analogues à propos des faveurs dont était comblée la Kchéchinskaïa. Peu à peu, une légende s’est créée. La ballerine, jadis aimée par le Césaréwitch, courtisée depuis lors et simultanément par deux Grands-Ducs, est devenue en quelque sorte un symbole du régime impérial. C’est à ce symbole que la plèbe s’est attaquée aujourd’hui. Une révolution est toujours, plus ou moins, un total et une sanction.



Mercredi, 14 mars.

Il y a encore beaucoup de combats et d’incendies, ce matin. Les soldats font la chasse aux officiers et aux gendarmes, une chasse féroce, où se révèlent tous les instincts sauvages que renferme encore l’âme des moujiks.


Dans l’anarchie générale qui sévit à Pétrograd, trois organes de direction tendent à se constituer :

1° Le « Comité exécutif de la Douma, » présidé par Rodzianko et comprenant douze membres, dont Milioukow, Schoulguine, Konovalow, Kérensky et Tchéïdzé. Il représente ainsi tous les partis du groupe progressiste et de l’extrême-gauche. Il s’efforce de réaliser immédiatement les réformes nécessaires, afin de maintenir le régime en proclamant au besoin un autre Empereur ; mais le Palais de Tauride est envahi par les émeutiers ; le Comité délibère donc dans le tumulte et sous la menace de la foule.

2° Le « Conseil des Députés ouvriers et soldats, » le Soviet, Il siège à la gare de Finlande. Proclamer la République sociale et mettre fin à la guerre, tel est son mot d’ordre et son cri de ralliement. Ses meneurs dénoncent déjà les membres de la Douma comme traîtres à la Révolution et prennent hautement, vis-à-vis de la représentation légale, l’attitude qui fut celle de la Commune de Paris vis-à-vis de l’Assemblée législative, en 1792.

3° Le « Quartier général des troupes. » Il siège à la Forteresse