Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de police sont en flammes ; les prisons sont ouvertes et tous les détenus libérés ; la Forteresse des Saints-Pierre-et-Paul est assiégée ; le Palais d’hiver est envahi : on se bat sur tous les points de la ville.

A six heures et demie, je retourne avec Buchanan au ministère des Affaires étrangères.

Pokrowsky nous annonce que, vu la gravité des événements, le Conseil des ministres a pris sur soi d’enlever à Protopopow le ministère de l’Intérieur et de nommer « gérant provisoire » le général Makarenko. Il en a aussitôt rendu compte à l’Empereur ; il l’a, de plus, supplié de conférer immédiatement des pouvoirs extraordinaires à un général pour prendre toutes les mesures exceptionnelles que commande la situation et notamment pour nommer d’autres ministres.

Il nous apprend en outre que, malgré l’ukaze de prorogation, la Douma s’est réunie cet après-midi au Palais de Tauride. Elle a constitué un comité permanent, destiné à servir d’intermédiaire entre le Gouvernement et les troupes révoltées. Rodzianko, qui préside ce comité, a télégraphié à l’Empereur que la dynastie est dans un extrême péril et que le moindre délai lui sera fatal.

Il fait nuit noire quand nous sortons, Buchanan et moi, du ministère des Affaires étrangères ; aucun réverbère n’est allumé. A l’instant où mon auto débouche de la Millionaïa, devant le Palais de marbre, nous sommes arrêtés par un tumulte militaire. Il se passe je ne sais quoi, à la caserne du régiment Pavlowsky. Des soldats furieux crient, hurlent, se battent sur la place. Ma voiture est cernée ; une clameur violente s’élève contre nous. En vain, mon chasseur et mon mécanicien s’efforcent de faire comprendre que nous sommes les ambassadeurs de France et d’Angleterre. On ouvre nos portières. Notre situation va devenir dangereuse, quand un sous-officier, juché sur un cheval, nous reconnaît et, d’une voix tonitruante, propose un « hourra pour la France et l’Angleterre ! » Nous sortons de ce mauvais pas sous un déluge d’acclamations.

J’emploie la soirée à essayer d’obtenir quelques renseignements du côté de la Douma. La difficulté est grande, parce que la fusillade et l’incendie sévissent de toutes parts.

On m’apporte enfin quelques informations qui concordent.