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secret plus affreux que tes précédentes promesses de n’être qu’à moi ? Ne se passait-il donc, là-bas, plus rien de nouveau, jamais ? Tes tendres paroles espéraient-elles me convaincre que les choses étaient restées au même point ? Au moment où des parents dénient à leur fille le bonheur de son choix, ont-ils un autre désir que de lui en imposer un tout de raison, bien plus vite qu’ils ne l’eussent fait si la malheureuse avait encore eu le cœur disponible ? Ah ! je le savais ! Je suivais au fond de toi la marche du malheur, sur quoi tu prétendais me fermer les yeux, et fermer les tiens d’abord.

Et tes tendres paroles sont devenues plus rares. Tes baisers, plus âpres. Ton chaste amour, plus voluptueux. J’ai compris que le terme approchait. Tu m’arrivais, sans doute, d’une discussion plus pressante avec les tiens. Tu avais lutté, déjà moins forte. Et pour ne pas succomber, tu m’étreignais davantage. Non, tu ne m’étreignais pas. Tu t’accrochais à moi comme à une épave. Car je n’étais plus que cela : une épave dans ton naufrage. Et cette volupté inconnue qui noyait ton regard, c’était l’angoisse des Océans.

Effrayée de te trahir, parfois tu te ressaisissais. Dès mon seuil, tu fixais avec une hâte plus fébrile que joyeuse l’instant de notre prochain rendez-vous, alors que notre rendez-vous actuel ne faisait que commencer. Tu t’efforçais de plaisanter un peu. Ta volonté ramenait sur tes lèvres le cadavre d’un charmant sourire. Je t’imitais. Mais moi non plus je ne devais pas t’abuser. Je crois même que je te dirais le jour où tu m’es venue après avoir enfin prononcé devant tes parents le « oui » exténué, ou un « peut-être » qui le contenait déjà un « je ne sais plus », un souffle, — songeant à part toi : « Mais rien n’est encore fait », tandis qu’ils songeaient : « On peut considérer l’affaire comme conclue. »

Je te fais trop mal, n’est-ce pas ? Tu me cries « grâce ? » Je voudrais crier aussi à la vie mauvaise : « grâce ! » C’est elle qui te déchire. Ce n’est pas moi, pauvre homme aux manies d’historien qui t’impose et qui m’impose ici le récit de notre fin d’amour. Mais sans ces explications affreusement méthodiques, n’aurais-tu pas été tentée de voir dans mon initiative de rupture une défection par coup de tête, humeur, amour-propre muet ? de me reprocher même un manque de courage ? Il est indispensable que tu saches que j’ai compris toute ta souffrance.