Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

père n’a plus remis à quitter sa province pour venir tenter auprès des liens cette folle démarche. Ton amour illuminé la couronnait déjà de succès. Eux ont dû se demander si mon père et moi nous avions notre bon sens.

C’en était fini de notre espoir. Notre intimité s’est faite plus grande. Je ne pouvais désormais reparaître chez toi. C’est dans ma retraite seule que nous nous sommes revus. C’est toi qui l’as voulu. Tu me restais. Tu te sentais pure. Tu as tout bravé. Et si je te dis tout cela, mon aimée, que tu sais bien, c’est pour t’en exprimer ma gratitude comme je le dois, mais c’est aussi parce que j’écris une sorte de testament. Voilà ce qui me reste : t’écrire encore quelques mots, t’écrire ma peine qui n’existe tout entière que depuis tout à l’heure, ou mieux, qui ne va exister tout entière qu’à partir de cette minute-ci, de cette confession de ces deux derniers mois, dont le mystère ne doit pas demeurer séparément enfoui en chacun de nous. Nous nous sommes menti héroïquement. Sachons-le. Accroissons notre intimité par l’échange de ce que nous en avions retenu au plus profond de nous, chacun de son côté.

Ces deux derniers mois ! Notre amour, quel calvaire, où nous avons feint de ne ressentir que les communions du Paradis !

Les moments qui ont suivi le refus de ta famille, tu t’insurgeais, tu briserais leurs résistances, tu m’affirmais que tu étais à moi de toute ton âme et ne serais jamais qu’à moi. Je ne te demandais pas de m’affirmer cela. Mais tu me l’affirmais, protestais, jurais. Ah ! ce que tu m’as fait de peine ! Si tu étais à moi, ne devenait-il pas superflu de me le dire, à moi surtout, et de me le dire avec cette sorte d’angoisse ? Est-ce moi que tu voulais persuader ?...

Brusquement tu as fait le silence là-dessus, et sur tout ce que tu laissais derrière toi pour venir me rejoindre. Tu m’as prié de ne plus t’interroger. Tu semblais m’arriver d’un pays irréel, du Néant, et n’avoir pas existé depuis la minute où tu m’avais quitté jusqu’à celle où tu le retrouvais dans mes bras. Nous n’avons plus échangé que des paroles tendres, enivrées, nombreuses, qui supprimaient le monde et tout ce qui n’était pas nous. Nos voix étaient comme .soudées l’une à l’autre : nos vies, suspendues au-dessus de la vie, sans contact avec rien ni personne. Mais nos deux silences intérieurs étaient-ils encore à l’unisson comme nos voix et nos lèvres ? N’avaient-ils pas un