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en papier leur paraissait une insuffisante compensation. Tandis qu’à Gênes l’insistance de M. Lloyd George réussissait à annuler, par une addition captieuse, un amendement de M. Seydoux, qui aurait pu donner satisfaction aux Belges, à Paris, M. Poincaré se mettait en rapports directs avec M. Theunis, l’assurait de son appui sans réserves, non seulement par esprit de solidarité amicale avec la Belgique, mais encore par la conviction que le Gouvernement belge défend la justice et l’honnêteté contre la spoliation plus ou moins déguisée, la propriété contre le vol, et que ses intérêts correspondent exactement à ceux de la France. Sans parler des emprunts d’État, vingt milliards de francs de l’épargne française étaient, en 1914, investis dans des entreprises industrielles ou agricoles en Russie ; elle leur devait sa prospérité, son essor économique ; si cette prospérité doit renaître un jour, il est inadmissible que ce soit au bénéfice exclusif d’ouvriers de la dernière heure, tandis que les premiers seraient évincés ou indemnisés par un papier sans valeur. En même temps, M. Poincaré donnait à la délégation française pour instructions précises de retirer l’adhésion de la France au mémorandum déjà soumis à la délégation bolchéviste.

Le coup de barre si opportunément donné par le Gouvernement belge et appuyé par M. Poincaré, redressait d’un coup la direction de la Conférence ; il avait la vertu d’un rappel au bon sens et au bon droit ; par désir d’entente, pour faciliter aux Bolchévistes l’acceptation du mémorandum, on glissait sur la « pente savonnée. » Tout se trouva du coup remis en place, et M. Barthou, quittant Paris le 6 pour retourner à Gênes, emportait, en parfait accord avec le Conseil des ministres, l’instruction de rechercher toutes les voies de conciliation qui permettraient à la Belgique et à la France de se joindre aux signataires du mémorandum, mais sans se prêter à aucune concession sur le fond même de l’amendement Jaspar et sur le strict respect du droit de propriété, fondement indispensable des rapports sociaux et internationaux. Aussitôt les approbations sont venues à la thèse franco-belge, de la Suisse, du Danemark, de la Hollande, de la presse américaine ; d’autres vont suivre. La résistance belge de mai 1922 aura eu, toutes proportions gardées, quelques-uns des heureux effets de celle d’août 1914 ; elle a manifesté avec éclat où est le droit et où la spoliation ; elle a sonné le ralliement de l’ordre et de la justice à l’encontre des compromissions suspectes et des aventures imprudentes ; elle a resserré l’amitié franco-belge, que le malentendu d’un instant avait failli compromettre.