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te plains de ne pas avoir ma solitude ! Je me plains, moi, de l’avoir. Et chacun se persuade que son ennui est le plus grand. Il est divers et semblable, chérie, puisqu’il est notre amour. Aimer dans une séparation continuelle à peine interrompue çà et là délice et supplice, supplice surtout. Tu le sais ? Non, tu ne le sais pas, ni combien je t’aime, plus que tu ne m’aimes. Et tu protestes encore, car toi aussi tu m’aimes plus que je ne t’aime. Croyons-le tous deux. Notre amour serait en péril de mort, si nous n’avions pas cette croyance.

Anne-Marie, ma bien-aimée, reviens. Reviens, pour me donner le bonheur de te dire : « Anne-Marie, ma bien-aimée, » et surtout de te dire : « toi. » « Toi, » c’est ton plus beau nom. Je t’appelle aussi Anne-Marie, chez toi, devant les tiens, et ce double prénom m’émeut et m’attendrit : il me fait rêver à des rosées et au ciel frais du grand matin. Mais « toi, » plus bref et plus profond, ce sont les quatre murs et la lampe allumée. Et il me semble que je ne te nomme parfaitement bien que par ce mot : toi. Il renferme toute ma certitude et toute mon inquiétude. Je l’aspire, et j’aspire l’espérance. Je l’expire, et ma crainte renaît. Il est toute ma lumière aussi. Toutes choses me paraissent grises, dès que tu n’es plus là : et la lampe s’éteint, dont tu étais la flamme.

Reviens, toi que je n’aime pas encore de tout ce que je dois t’aimer dans l’avenir, toi qui es celle qui peut-être ne sera jamais, et que pourtant j’enlacerai à jamais de mon amour comme le chèvrefeuille enlaçait la branche du coudrier. Reviens, Anne-Marie, au jour promis, pour enchanter mon espérance, et que je puisse joindre encore mes mots à tes lèvres qui étaient parties.

RENAUD.


Renaud Dangennes à Mlle Anne-Marie Cibours.


Paris, juin 1867.

Tu me quittes. Et ta voix, qui a fixé le jour de ta prochaine visite, persiste dans mon oreille... Ainsi, pour toi du moins, notre suprême rencontre se sera déroulée selon les habitudes de notre apparent bonheur. Tu auras eu, comme dernière image de moi, un sourire. Malgré la douleur où va te