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Il suffit de lire certains journaux d’Angleterre pour se rendre compte qu’à propos de la Conférence une partie du public anglais, — comme l’écrivait ici en 1895 Francis de Pressensé, — « s’adonne à l’un de ses sports préférés, une croisade de philanthropie agressive qui sert les intérêts britanniques. » Un avenir proche justifiera l’attitude de la France. Tout ce qui pouvait être tenté pour conduire au port le bateau de M. Lloyd George, elle l’a fait ou s’y est prêtée, non sans avoir averti le pilote que la tentative était mal conçue et le succès difficile. La tâche la plus ingrate lui incombait ; il lui fallait prouver, à l’encontre de calomnies presque universelles, que ses aspirations vers l’ordre européen, la consolidation de la paix et la reprise des affaires, s’unissent à celles des autres États, et, en même temps, opposer sans faiblesse un tir de barrage infranchissable à des assauts intéressés et à des expériences désastreuses : ainsi se posait pour elle le problème de Gênes. En défendant ses intérêts fondés sur les traités, elle a, en réalité, travaillé dans l’intérêt de tous les peuples, sans en excepter même l’Allemagne et la Russie. De cette tâche délicate, ses délégués se sont acquittés avec honneur : M. Barthou avec son tact parlementaire et l’autorité de sa parole, M. Barrère avec l’expérience et la hauteur de vues d’un diplomate de tradition, M. Cotrat avec la finesse d’un homme d’État d’avenir, M. Seydoux avec la force persuasive de ses convictions à la fois pratiques et idéalistes, M. Picard avec la sûreté d’information et de jugement d’un financier compétent et loyal.

A Gênes, M. Lloyd George fait figure de dominateur ; la Conférence, c’est lui ; elle est née de son cerveau Imaginatif et primesautier ; la villa de Albertis où il siège, l’hôtel Miramare où réside sa délégation sont les centres de l’activité diplomatique ; M. Lloyd George y apparaît en arbitre de l’Europe et du monde ; il négocie, il dispose, il dit : « Je veux, » il anime tout de son verbe ; et quand il parle, c’est avec tant de chaleur qu’on est d’abord tenté de se laisser entraîner. Mais quand sa volonté se heurte à la force des choses et à la résistance d’intérêts opposés, il s’énerve, s’emporte ; tantôt séducteur et tantôt menaçant, il poursuit son but, tournant les obstacles, quand il ne réussit pas à les forcer. Ses amis disent : c’est un second Cromwell. Il voulait, à Gênes, un éclatant succès pour son pays et pour lui ; il se flattait d’y amener les grandes vedettes de la politique, Lénine, M. Poincaré. A Boulogne, il avait fait preuve d’un esprit très marqué de conciliation ; mais il comptait que, si une fois M. Poincaré venait à Gênes, il ne pourrait se dérober à des conversations