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Chronique 14 mai 1922


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

La vie politique et l’activité économique de tous les peuples sont suspendues aux nouvelles de Gênes où se prolonge sans s’amender la Conférence internationale voulue par M. Lloyd George. Les faits, gestes et paroles des délégués, transmis et amplifiés par les centaines de journalistes qui bourdonnent autour d’eux, troublent, jusqu’au fond des campagnes, le tranquille labeur qui serait cependant plus efficace, pour la restauration de la prospérité générale, que tant de vaines discussions. C’est le moindre défaut de ces grandes assises qu’elles paralysent les affaires : aussi les plus courtes sont-elles les meilleures. Il émane de cet imposant concours d’hommes d’État, de diplomates, de techniciens, de publicistes de tous pays, une âme collective, qui finit par s’ériger au-dessus des sentiments et des volontés individuelles et nationales ; ce phénomène, qui relève de la psychologie des foules, je suis allé, entre deux chroniques, l’étudier de près et respirer l’atmosphère de Gènes. Elle est imprégnée d’idéalisme européen et humanitaire ; la réalité de souffrances communes à tous les peuples a renforcé la commune bonne volonté de s’employer à en adoucir les rigueurs. Mais la souffrance porte à l’égoïsme et à l’injustice envers autrui ; et l’on dirait qu’à Gênes une force maligne s’acharne à dénaturer les intentions et à égarer les efforts. C’est que le problème dépasse en ampleur la capacité de ceux qui s’y attaquent ; c’est que les moyens de fortune proposés pour déraciner le mal sont à peine capables d’en atténuer à longue échéance les effets ; c’est enfin que, derrière ce décor pompeux d’une conférence pour la restauration économique et financière de l’Europe, se cache la réalité d’une lutte politique et surtout d’une course aux affaires. L’atmosphère de Gênes est empoisonnée d’acres relents de pétrole. La Conférence, qui a commencé comme un congrès de diplomates, s’achève en une mêlée des grandes sociétés pétrolières.