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Troisième acte. Dans un hôtel à Boulogne. Vue sur la mer. Tempête. Le vent souffle et le flot mugit : l’orchestration rêvée pour catastrophes. Mais il y a des êtres de qui le malheur même est comique. La grande-duchesse est de ceux-là Résolue à s’expatrier pour filer le parfait amour avec son Ramon Genaz, elle lui a confié le soin de vendre un collier de perles qui paiera les frais de l’embarquement pour Cythère. Le rasta est parti et n’est pas revenu. C’était un vulgaire escroc : il a fait le coup classique. En revanche, le désastre de la comtesse Anderny ne laisse rien à désirer comme horreur tragique. Il est de première grandeur et de qualité rare. Les auteurs ont réservé à cette reine des Don Juanes une infortune de choix, une de ces malchances privilégiées dont l’atrocité, depuis les temps antiques, n’a pas cessé de nous faire frémir. Elle attend le jeune Vaugrenier, retour d’Angleterre où il est allé revoir les braves gens qui l’ont élevé et qui seuls connaissent le secret de sa naissance. A peine le revoit-elle, à certains détails qu’il rapporte innocemment Albine se trouble, pâlit, blêmit ; ses yeux s’ouvrent démesurément comme devant une révélation de cauchemar ; au même instant, la même illumination traverse l’esprit de Vaugrenier. Par bonheur, sa maladie de cœur le mettait à la merci de la première émotion. Sans quoi, les fastes de l’humanité auraient compté un nouvel Œdipe.

Ce dénouement est si brusque, si rapide, si sommairement indiqué, qu’il faut beaucoup d’attention et de bonne volonté pour comprendre ce que comprennent, ou ce que devinent, ces deux êtres, pendant ces brèves secondes. Il a un autre défaut : c’est que rien dans la pièce ne nous y acheminait. Certes, nous sommes avertis qu’il y a entre Albine et le jeune Vaugrenier une sensible différence d’âge. Mais il eût fallu y insister et déjà jeter en nous une vague inquiétude. Quelques soupçons toujours précèdent les grandes révélations. Quelques craquements s’entendent dans un bonheur qui va s’effondrer. Le théâtre n’admet pas les coups de tonnerre dans un ciel serein.

Et ce qui prouve bien que ces tristes amoureuses n’ont de Don Juanes que le nom, c’est leur fin lamentable. Les Don Juanes, telles qu’on les définit dans le roman de M. Marcel Prévost, telles aussi qu’on en rencontre dans la vie réelle, ne sont pas du tout des victimes prêtes pour le sacrifice. Ce sont personnes d’attaque et de décision. Chez elles, au goût de l’amour survit celui de la domination. Le moment venu, elles savent très bien s’installer dans une vieillesse, entourée sinon respectée. Elles continuent de tenir en