Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amour, si profond soit-il, n’est encore qu’une espérance sans tache, et que, devant les obstacles, il semble qu’une espérance soit moins solide qu’une réalité. Mais tu ne crois pas aux obstacles. Tu me l’affirmes. Je bois ce philtre souverain. Et chaque fois, l’attente commencée, je tremble que l’obstacle ne se rie de tes promesses, ne t’oblige à remettre d’un seul jour le bonheur escompté de ta visite. Un seul jour !... On croit aussitôt que ce sera toujours. Je songe à cette puissance redoutable : ta famille, à ses ambitions pour toi. Eux-mêmes, inconsciemment cruels, me les ont dites, parce qu’ils m’estiment assez pour me confier leurs rêves à ton propos. Mais moi, mon chéri, moi que tu aimes, ne dois-je pas être un obstacle plus grand à leur loi, que leur loi à notre irréprochable amour ?

Je t’afflige ? Ces mots-là sont inutiles ? Ils répondent à une question qui ne se pose pas ? que du moins tu ne te poses pas ? Tu m’as souvent supplié de ne plus les écrire, de ne plus les penser, puisque nous sommes d’accord et sûrs de nous. Pardonne-moi. J’essaierai. Je n’y pense presque plus, tu le sais, quand tu es ici. C’est que ta présence supprime l’avenir, si ton absence le crée. Ta présence supprime les conseils de la tristesse. Elle ne nous inspire que le besoin de nous sourire. Tu voudrais entendre alors mes mots heureux. Tu me reproches de parler à peine. Comment te parlerais-je ? Le langage de nos lèvres jointes est le plus précieux, le seul valable. Et si elles se désunissent une minute, c’est pour que nous puissions contempler leur double et identique sourire où toutes les paroles sont dites.

Mais quand le dehors, quand ta maison, quand la vie des tiens t’ont reprise, tout ce qu’il me semblait essentiel de te dire et que j’avais oublié, reparaît, s’élance, te cherche au loin, tendresses, folies, fantaisies, mille nuances d’adoration. Peut-être ne les avais-je pas oubliées toutes. Ou leur forme, soudain, s’évanouissait-elle devant ta forme, qui les absorbait dans son éblouissement. Ou peut-être n’osais-je pas, craintif et retenu au seuil du temple.

Je suis seul. J’ose. Je te donne mes mille adorations, et mille autres qui s’y ajoutent, parce que tu es venue en toute confiance une fois de plus chez moi. Toi qui n’es plus seule dans cette minute, toi à qui s’adressent des voix amies, entends-tu ? tout ce que je ne t’ai pas dit tout à l’heure ? Me le retournes-tu ? Le peux-tu seulement ? N’es-tu pas distraite, sollicitée ? ,.. Ah ! tu